Géographie de la Bretagne/Aménagement de l'espace rural
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Aménagement de l'espace rural (1994)
Auteur : Corentin Canévet & Yves Lebahy
L'Aménagement rural en 2014
Auteur : Yvon Le Caro
Quelles campagnes dans quel systĂšme urbain ?
Lâouvrage de 1994 souligne certains caractĂšres originaux qui demeurent en Bretagne : lâhabitat dispersĂ©, lâintĂ©gration des bourgs comme premier Ă©tage dâune hiĂ©rarchie urbaine complĂšte, trĂšs progressive et polycentrique. Cette analyse peut ĂȘtre renouvelĂ©e en analysant lâespace rural Ă trois Ă©chelles : les diffĂ©renciations rĂ©gionales, le territoire local (Ă lâĂ©chelle du canton, de lâEPCI ou du pays) et la fraction « campagne » des paysages vĂ©cus Ă lâĂ©chelle communale.
Par le biais des mobilitĂ©s quotidiennes entre domicile et lieu de travail, les espaces ruraux bretons sont largement intĂ©grĂ©s au systĂšme urbain comme le montre lâextrait du zonage en aire urbaines.
Les aires urbaines de la Bretagne en 2010
Cette reprĂ©sentation des liens entre communes de rĂ©sidence et commune dâemploi, dĂ©finie une premiĂšre fois par lâINSEE en 1998 et remaniĂ©e en 2010, permet, au-delĂ de la typologie proposĂ©e, de distinguer trois types dâespaces ruraux :
- lâespace pĂ©riurbain (couronnes des moyens et grands pĂŽles urbains) ;
- lâespace, qui correspond peu ou prou aux « campagnes vivantes » distinguĂ©es par le colloque de Nantes en 2000, constituĂ© dâespaces ruraux qui ne sont pas sous lâinfluence dâune seule ville mais bĂ©nĂ©ficient du rĂ©seau urbain rĂ©gional (communes multipolarisĂ©s) ou bien qui sont animĂ©s par une petite ville dynamique (petits pĂŽles urbains et leurs couronnes) ;
- les espaces ruraux dans lesquels moins de 20% des travailleurs rejoignent quotidiennement un pĂŽle urbain, et qui, sous lâappellation de « communes isolĂ©es » pour lâINSEE, sont en fait des espaces oĂč plus de 80% des emplois sont offerts sur place, ce qui constituerait plutĂŽt le signe dâespace ruraux autonomes !
Lâespace pĂ©riurbain sâest considĂ©rablement Ă©tendu en Bretagne dans les deux derniĂšres dĂ©cennies, sous le triple effet de lâattractivitĂ© renouvelĂ©e des campagnes (la « renaissance rurale » de Bernard Kayser), de lâaccentuation du gradient du prix du mĂštre carrĂ© de terrain Ă bĂątir entre centres urbains et communes rurales, et, pour le cas de Rennes, du fait de la volontĂ© de rĂ©partir la croissance dĂ©mographique de lâagglomĂ©ration sur lâensemble de ses communes (concept de la ville-archipel). Lâespace pĂ©riurbain est donc marquĂ© par la fonction rĂ©sidentielle, mais il ne faut pas nĂ©gliger la permanence des fonctions de production agricole et agroalimentaire lorsque lâaire urbaine recoupe des bassins de production dynamiques (Brest, RennesâŠ) et les fonctions secondaires et tertiaires liĂ©es Ă lâinstallation de nombreuses zones artisanales et commerciales hors de la ville centre.
LâamĂ©nagement du territoire, Ă lâĂ©chelle des aires urbaines, a donc permis un dĂ©veloppement relativement Ă©quilibrĂ© des espaces pĂ©riurbains bretons, dont les communes sont loin de pouvoir ĂȘtre rĂ©duites Ă des citĂ©s dortoirs.
La plupart des campagnes, au sens commun dâespaces ruraux, restent par ailleurs bien vivantes en Bretagne, du fait dâune dĂ©mographie soutenue. Cette dĂ©mographie est confortĂ©e par la possibilitĂ© pour les jeunes mĂ©nages de trouver sur place ou Ă proximitĂ© tout Ă la fois des services, de lâemploi et un logement.
Des services grĂące au rĂ©seau des bourgs et petites villes ; le dynamisme dĂ©mographique est la meilleure garantie du maintien et du dĂ©veloppement de ces services, et le relatif Ă©loignement des grandes villes permet aux plus petites dâaccĂ©der Ă des niveau dâĂ©quipement que lâon ne retrouve pas en espace pĂ©riurbain pour la mĂȘme population communale.
Des emplois, grùce à une économie diversifiée (les trois secteurs sont bien présents) la plupart du temps appuyée sur les petites et moyennes entreprises ; la dépendance relative à de grosses usines agro-alimentaires est en effet plutÎt caractéristique des espaces ruraux de la Bretagne centrale.
Des logements, grĂące Ă une bonne accessibilitĂ© du foncier pour se loger : rien Ă voir ici avec le casse tĂȘte du logement dans les grandes villes, mais rien Ă voir non plus avec la gentrification des campagnes du Devon, de lâautre cĂŽtĂ© de la Manche. Si la fin du mitage gĂ©nĂ©ralisĂ© a bien Ă©tĂ© actĂ©e par le passage des POS aux PLU, on nâest pas allĂ© pour autant vers une sanctuarisation des campagnes françaises : les plans locaux dâurbanisme autorisent globalement une production suffisante de logements ce qui permet de maintenir des prix abordables.
Les espaces ruraux objectivement plus « autonomes » en terme dâemploi, situĂ©s pour lâessentiel au centre de la Bretagne, sont en fait Ă©galement davantage dĂ©pendants de la santĂ© Ă©conomique du systĂšme agro-alimentaire. Leur dynamique dĂ©mographique reste frĂ©quemment nĂ©gative ou trĂšs fragile. Il sây dĂ©veloppe toutefois une crĂ©ativitĂ© socio-culturelle originale et lâaccueil de nouvelles populations (ex-urbains, migrants britanniques, touristes) renouvelle et diversifie la population locale, dont les enfants continuent « dâĂ©migrer » au sens de lâexode rural.
Il nâest pas simple dâĂ©voquer comme un tout les espaces ruraux littoraux en Bretagne. Ils se partagent entre les trois catĂ©gories prĂ©cĂ©dentes, la troisiĂšme nâĂ©tant significativement reprĂ©sentĂ©e que par la presquâile de FrĂ©hel en CĂŽtes dâArmor. Les espaces littoraux bretons concentrant lâurbanisation, hors Rennes et Nantes, la majoritĂ© des espaces ruraux littoraux bretons est pĂ©riurbaine ou multipolarisĂ©e.
A lâĂ©chelle de la vie quotidienne, le rĂŽle des bourgs et des petites villes, prĂ©cisĂ©ment soulignĂ© dans lâouvrage de 1994, reste dâactualitĂ©. Le principal changement, qui a de facto actĂ© cette importance, est la montĂ©e en puissance de lâintercommunalitĂ©. Les communautĂ©s de communes et les pays ont redonnĂ© Ă ces centralitĂ©s locales un rĂŽle politique et permis de redĂ©finir sur des base plus dĂ©mocratiques les choix dâamĂ©nagement. En pratique les deux questions principales qui se posent pour des territoires ruraux organisĂ©s en EPCI sont les suivantes :
- comment se regrouper pour accĂ©der Ă (ou maintenir) des niveaux de services hors de portĂ©e des communes prises une par une ? Il sâagit ici de construire des projets fĂ©dĂ©rateurs crĂ©dibles Ă lâextĂ©rieur, tant pour les financeurs publics (DĂ©partement et RĂ©gion en particulier) que pour les opĂ©rateurs privĂ©s (attractivitĂ© des zones artisanales, etc.) ;
- comment rĂ©partir entre les communes membres les Ă©quipements et les services auxquels le regroupement a permis dâaccĂ©der ? Il sâagit ici de trouver un Ă©quilibre entre rationalitĂ© et Ă©galitĂ© dans lâamĂ©nagement.
De nombreux exemples montrent quâaujourdâhui les individualismes communaux semblent prĂȘts Ă cĂ©der la place Ă une pensĂ©e territoriale plus efficace. La taille importante des communes rurales bretonnes, tant en superficie quâen population, rend peut-ĂȘtre plus facile quâailleurs dâĂ©viter de tout concentrer au chef-lieu. Les bourgs sont donc des pĂŽles de services pour leur territoire, dĂ©sormais intercommunal. Mais ils sont aussi en compĂ©tition entre eux pour dĂ©crocher les services de niveau supĂ©rieur, et cela peut conduire des Ă©lus Ă vouloir Ă tout prix en faire des villes comme les autres. Si certains architectes (Philippe Madec Ă Plourin) proposent de moderniser les formes rurales, la banalisation de lâurbanisme des bourgs semble demeurer la rĂšgle.
A lâĂ©chelle communale, lâamĂ©nagement rural sâintĂ©resse Ă la campagne, c'est-Ă -dire Ă la fraction agricole et forestiĂšre du territoire. Du point de vue de lâurbanisme, cette fraction est globalement portĂ©e en zone agricole (A) et naturelle (N) des PLU. En Bretagne lâagriculture en occupe la grande majoritĂ© (75% de lâespace total en Ille-et-Vilaine, soit approximativement 80% de la campagne). LâĂ©quipement de base de ces campagnes est, si lâon prend une base de comparaison europĂ©enne, tout Ă fait remarquable : lâĂ©lectricitĂ© (depuis les annĂ©es 30-40), lâeau (depuis les annĂ©es 50), le tĂ©lĂ©phone et le bitume (depuis les annĂ©es 60-70), le ramassage scolaire primaire et secondaire (depuis les annĂ©es 80) et dĂ©sormais lâInternet et le tĂ©lĂ©phone mobile Ă haut dĂ©bit sont aux portes de chaque hameau. Sâil reste encore quelques « zones blanches » pour les rĂ©seaux numĂ©riques, les inĂ©galitĂ©s principales entre les campagnes et leurs bourgs concernent le gaz de ville et les transports collectifs.
Sur le plan agricole, si le dĂ©veloppement des friches, redoutĂ© en 1994, ne sâest pas produit, lâessentiel des terres trouvant preneur Ă chaque dĂ©part en retraite, la concentration des exploitations a fortement diminuĂ© le nombre de hameaux comportant une ferme active. A plus ou moins court terme, ces bĂątiments agricoles inutilisĂ©s constituent des opportunitĂ©s pour la crĂ©ation ou la rĂ©novation de logements.
Dans ce contexte, la question de lâamĂ©nagement rĂ©sidentiel des hameaux, justement Ă©voquĂ©e en 1994, devient une question essentielle, mĂȘme si elle est rarement posĂ©e de maniĂšre frontale. Avec la gĂ©nĂ©ralisation des PLU, les Chambres dâagriculture et les Directions dĂ©partementales du territoire, intervenant comme personnes publiques associĂ©es, ont en effet progressivement Ă©tabli en rĂšgle gĂ©nĂ©rale lâinconstructibilitĂ© des hameaux. Tout au plus a-t-on durant la dĂ©cennie 2000 pratiquĂ© le « pastillage » des constructions non agricoles existantes en zone N pour permettre de modestes extensions ou des conversions en logement. La rĂšgle de rĂ©ciprocitĂ© de la distance (100 mĂštres) entre bĂątiments dâĂ©levage et logements tiers a par ailleurs compliquĂ© le renouvellement du bĂąti dans les hameaux agricoles comportant dâautres habitants que les agriculteurs. Est-il trĂšs judicieux, en pĂ©riode de crise Ă©conomique, de bĂątir des maisons neuves en laissant vides des fractions de longĂšres ? Le principal risque de cette politique est la gentrification progressive des hameaux : aux classes plus aisĂ©es les belles bĂątisses bretonnes Ă rĂ©nover, aux classes populaires les pavillons en lotissement en extension des bourgs. Ces derniers, conçus sur un modĂšle qui semble moins incongru dans les bourgs dâhabitat groupĂ© de lâest de la France, ne correspondent pas aux formes traditionnelles de lâhabitat rĂ©gional. Une rĂ©flexion approfondie pourrait donc permettre de mieux valoriser lâhabitat rural tant sur le plan socio-Ă©conomique que sur le plan paysager et architectural :
- pourquoi ne pas retenir les formes locales du bourg (maisons mitoyennes, ruelles, jardins clos de murs, etc.) et des hameaux (longÚres, cours communes, jardins pas systématiquement contigus à la maison, etc.) pour concevoir les extensions urbaines ?
- pourquoi ne pas autoriser les agriculteurs à créer des logements locatifs à la ferme, à caractÚre social le cas échéant (ils ne peuvent actuellement le faire que pour les touristes) ?
- pourquoi refuser quâun agriculteur signe avec son voisin une convention, voire quâils acceptent une servitude, pour dĂ©roger dâun commun accord Ă la rĂšgle des 100 mĂštres ?
- pourquoi ne pas proposer, dans les hameaux, des constructions nouvelles, quitte Ă y imposer des mĂ©thodes constructives respectueuses de lâhistoire locale et de lâenvironnement ?
Il y aurait lĂ matiĂšre Ă diversification pour les exploitations agricoles, moyen dâaccroĂźtre et de dĂ©mocratiser lâoffre de logements en campagne et maniĂšre dâamĂ©liorer la production architecturale rurale, excessivement banalisĂ©e dans le cadre des lotissements de ces 50 derniĂšres annĂ©es.
Assortir écologie, paysages et structures agraires
Sur le plan des espaces naturels et forestiers, la campagne bretonne est restĂ©e stable. La Bretagne nâest pas plus victime dâune dĂ©prise agricole comme peuvent la vivre les Vosgiens ou les Auvergnats, « envahis » par la forĂȘt, quâelle nâest restĂ©e dans la prorogation de lâabattage massif de talus des annĂ©es 60-70. Si la forĂȘt (sur quelques parcelles en dĂ©prise) ou le bocage (par Ă©largissement de la haie plus que par crĂ©ation nette de linĂ©aire) ont pu gagner quelques points dans le FinistĂšre et la Loire-Atlantique, dans les vallons humides et les marges urbaines, lâintensification agricole (suppression progressive de haies, mise en culture de prairies) reste active dans la plupart des bassins de production.
Les paysages ont toutefois bĂ©nĂ©ficiĂ© de diverses opĂ©rations de replantation, la derniĂšre, toujours en cours, intitulĂ©e Breizh-bocage. Les paysages bocagers que lâon peut observer et parcourir dans la Bretagne contemporaine rĂ©sultent donc de deux variables locales : la situation hĂ©ritĂ©e de la pĂ©riode durant laquelle les remembrements se faisaient « tabula rasa » dâune part, lâĂ©quilibre dynamique entre arasements et replantations dâautre part.
On assiste ainsi Ă une diversification croissante des paysages bocagers en Bretagne, depuis les quasi openfields, lĂ oĂč les replantations sont refusĂ©es, jusquâau nĂ©obocage dense dans des espaces restĂ©s bocagers et oĂč, paradoxalement, les replantations sont mieux perçues. Il existe en effet des mĂ©canismes dâautojustification qui poussent certains agriculteurs dont les talus ont Ă©tĂ© largement supprimĂ©s Ă refuser de planter, tandis que dans les paysages restĂ©s fortement bocagers, une part plus importante des agriculteurs adhĂšre au programme Breizh-bocage pour complĂ©ter ou optimiser le rĂ©seau des haies.
Dans la plupart des situations, un bocage Ă larges mailles domine aujourdâhui les paysages bretons. Il est constituĂ© tantĂŽt de haies denses (surtout dans les espaces dâĂ©levage bovin Ă moindre intensivitĂ© comme le centre FinistĂšre ou la Loire-Atlantique) tantĂŽt de haies Ă©troitement taillĂ©es aux strates basses clairsemĂ©es et aux trop rares jeunes arbres. Le rĂŽle Ă©cologique et le renouvellement de ces haies trop chiches ne sont pas assurĂ©s.
LâamĂ©nagement foncier, qui a pris la suite du remembrement rural du fait de la loi sur le DĂ©veloppement des territoires ruraux (Loi DTR 2005), nâest plus le principal vecteur des Ă©volutions paysagĂšres. Lâurbanisation (Ă travers les lotissements, les zones artisanales et la multiplication des infrastructures), mais surtout le libre choix des agriculteurs de planter ou dâaraser des haies, sont les deux principaux Ă©lĂ©ments explicatifs des changements concrets. La plupart des amĂ©nagements fonciers actuels sont liĂ©s aux grands ouvrages (article 123-24 du Code rural). ConfiĂ© au DĂ©partement, lâamĂ©nagement foncier est dĂ©sormais bien encadrĂ© pour Ă©viter les excĂšs de destruction du bocage. Dans de nombreuses communes, quâelles aient Ă©tĂ© remembrĂ©es ou pas dans le passĂ©, un amĂ©nagement foncier Ă©quilibrĂ© permettrait dâamĂ©liorer les structures agricoles, de (re)constituer un vĂ©ritable rĂ©seau de chemins de randonnĂ©e et de mettre le foncier au service de projets collectifs.
Les exploitations sâagrandissent en effet par la reprise de parcelles ou dâexploitations entiĂšres pas toujours contiguĂ«s et la dispersion parcellaire a tendance Ă augmenter avec le temps. Pour les exploitations de taille modeste, le regroupement parcellaire est stratĂ©gique Ă©galement, en terme de rĂ©duction des coĂ»ts. La promenade (pĂ©destre, Ă©questre et en VTT) est devenue un des plus importants moments de lâexpĂ©rience paysagĂšre en espace agricole pour les Bretons, et les chemins de randonnĂ©e sont en consĂ©quence un enjeu de politique municipale et, de plus en plus, communautaire (Ă lâexemple de la CommunautĂ© de communes de la Bretagne romantique qui a pris la compĂ©tence « voirie rurale » en 2013).
LâamĂ©nagement foncier permet de reconstituer le rĂ©seau souvent altĂ©rĂ© par les destructions sauvages et les aliĂ©nations lĂ©gales. Il permet aussi de crĂ©er de nouvelles continuitĂ©s et de nouveaux points dâintĂ©rĂȘt sur les itinĂ©raires. Enfin, la mise en valeur du patrimoine, la rĂ©alisation dâinfrastructures et la constitution de rĂ©serves fonciĂšres sont facilitĂ©es par le remaniement des propriĂ©tĂ©s que permet lâamĂ©nagement foncier.
La Bretagne, dont les DĂ©partements ont aujourdâhui Ă©tabli une « charte de lâamĂ©nagement foncier », pourrait, en bĂ©nĂ©ficiant de lâexpĂ©rience des erreurs passĂ©es, proposer un nouveau mouvement dâamĂ©nagements fonciers. Dans lâattente, les chambres dâagriculture proposent dâorganiser quelque peu les Ă©changes amiables, qui se pratiquent couramment entre agriculteurs, quâils soient propriĂ©taires ou fermiers des parcelles Ă©changĂ©es.
Concernant les prairies, la pĂ©riode 1994-2005 a vu nombre dâentre elles (celles qui nâavaient pas Ă©tĂ© dĂ©clarĂ©es comme prairies permanentes en 1994) disparaĂźtre au profit des cultures, parce que les cĂ©rĂ©ales permettaient dâaccĂ©der Ă des primes (348 ⏠par ha en Ille-et-Vilaine). Depuis le dĂ©couplage Ă 75% des primes cĂ©rĂ©aliĂšres en 2006, et aussi parce que le maintien des prairies permanentes existantes est dĂ©sormais une des BCAE (bonnes conditions agri-environnementales) requises pour percevoir les DPU, les prairies sont en thĂ©orie moins menacĂ©es. Il existe toutefois un nouveau dĂ©fi : nombre dâexploitation cessent lâĂ©levage des bovins au profit des cĂ©rĂ©ales, et ne savent que faire des fonds de vallĂ©e ou des terres de lande. Peut-ĂȘtre une opportunitĂ© pour les Ă©leveurs de chevaux, ou bien pour le dĂ©veloppement de petites troupes dâovins sur ces exploitationsâŠ
Plus globalement, lâagriculture bretonne intĂšgre aujourdâhui les problĂ©matiques environnementales, mais en ordre dispersĂ©. Pour la plupart des agriculteurs engagĂ©s dans les filiĂšres de masse, Ă©cologie et environnement restent encore, avec la grĂȘle et les impĂŽts, dans la catĂ©gorie des contraintes auxquelles ils doivent faire face. Pour eux, câest avant tout la nĂ©cessitĂ© de respecter la rĂ©glementation qui explique les changements de pratiques (couverts vĂ©gĂ©taux, fertilisation, bandes enherbĂ©es, etc.).
La perception dâun intĂ©rĂȘt Ă moyen terme et une conscience Ă©cologique Ă©mergente amĂšnent toutefois une fraction croissante de ces agriculteurs Ă souhaiter sâengager de maniĂšre moins dĂ©fensive et plus volontariste dans lâagro-Ă©cologie. Les tentatives de donner un peu de cohĂ©rence aux mesures agri-environnementales (les CTE puis les CAD) ayant Ă©tĂ© torpillĂ©es politiquement au niveau national, câest dĂ©sormais par les MAE territorialisĂ©es (MAET) que cela sâexprime gĂ©nĂ©ralement. Mais de nombreuses pratiques sont Ă©galement adoptĂ©es dans la discrĂ©tion par les agriculteurs individuels et les CUMA (moyens de dĂ©sherbage mĂ©canique, matĂ©riels dâentretien du bocageâŠ), tandis que lâencadrement technico-Ă©conomique prend appui sur lâagriculture Ă©cologiquement intensive, les techniques culturales simplifiĂ©es ou lâagroforesterie pour aider les agriculteurs Ă retrouver le langage de lâagronomie fondamentale et Ă prononcer sans grimace le terme « Ă©cologie ».
Il ne faut pas nĂ©gliger non plus la fraction non nĂ©gligeable des agriculteurs bretons qui font de lâenvironnement un atout et de lâĂ©cologie une alliĂ©e. Outre les agrobiologistes, on peut estimer Ă un cinquiĂšme les agriculteurs qui espĂšrent pouvoir demain, de maniĂšre techniquement et Ă©conomiquement maĂźtrisable, pratiquer une agriculture vĂ©ritablement « naturelle » dans ses intrants et ses procĂ©dĂ©s.
Avec le rajeunissement et lâĂ©lĂ©vation du niveau dâĂ©tudes, la fĂ©minisation relative de la profession agricole et de son encadrement (dans la promotion 2014, 100 des 130 Ă©lĂšves ingĂ©nieurs agronomes dâAgrocampus Ouest Ă Rennes sont des femmes) devrait contribuer Ă cette Ă©volution lente mais positive. Il faut souhaiter que lâembellie des marchĂ©s agricoles, qui relance la tentation productiviste, et la dĂ©magogie de certains responsables agricoles consistant, pour masquer leurs divergences dâintĂ©rĂȘt, Ă fĂ©dĂ©rer les agriculteurs contre lâĂ©cologie, ne viennent pas trop la freiner.
Aline Grenier-Sargos publiait en 1975 « La dĂ©fense de lâenvironnement. Agriculture et environnement : un combat commun » aux Presses universitaires de France. Il faut certes Ă©galement dĂ©fendre une agriculture Ă visage humain. Mais la Bretagne peut et doit, dans un paysage renouvelĂ© mais restĂ© complexe, proposer un amĂ©nagement rural et des pratiques agricoles rĂ©solument agri-environnementales. « Agriculture et environnement : un combat commun » : le slogan, trop longtemps inaudible pour trop dâagriculteurs mais aussi trop de citoyens-consommateurs, nâa rien perdu de sa pertinence.