Géographie de la Bretagne/Les déséquilibres spatiaux
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Les déséquilibres spatiaux (1994)
Auteur : Yves Lebahy
Vers un renforcement des inégalités spatiales (2014)
Auteur : Yves Lebahy
Le constat de déséquilibres grandissants au sein du territoire avait été établi dans la précédente édition, des préconisations formulées pour lutter contre ces disparités : remise en cause du développement des agglomérations de Nantes et Rennes, lutte contre la désertification des zones rurales (cas du Bretagne centrale), résistance à un écart affirmé entre un « croissant fertile » et un Nord Ouest Bretagne en essoufflement, rÎle structurant des réseaux N/S.
Non seulement rien nâa changĂ© mais, pire, ces inĂ©galitĂ©s spatiales se sont renforcĂ©es clairement Ă la charniĂšre des annĂ©es 2000, pĂ©riode de rupture profonde dans les comportements dĂ©mographiques. En effet, la premiĂšre dĂ©cennie de ce siĂšcle correspond Ă une accĂ©lĂ©ration des tendances observĂ©es, marquĂ©es par une attractivitĂ© croissante de la rĂ©gion et lâabsence dâune rĂ©elle politique dâamĂ©nagement. Ce qui est chance peut devenir calamitĂ© dans un contexte libĂ©ral oĂč seule la loi du marchĂ© gĂšre lâorganisation du territoire. La rĂ©gion qui vit encore sur lâhĂ©ritage des annĂ©es CELIB, ne semble plus ĂȘtre dirigĂ©e par un rĂ©elle prospective, adaptĂ©e aux enjeux du moment.
Effets spatiaux de lâattractivitĂ© croissante de la Bretagne :
Si lâinversion du solde migratoire sâest opĂ©rĂ©e entre 1968 et 1975, câest donc plus rĂ©cemment que la rĂ©gion attire des personnes sĂ©duites par une qualitĂ© de vie et un environnement prĂ©servĂ©, maritime surtout. Leurs flux nâont cessĂ© de croĂźtre au cours de cette derniĂšre dĂ©cennie et ne semblent pas prĂȘts de ralentir. DĂ©sormais, au moins 30 000 personnes supplĂ©mentaires sâinstallent chaque annĂ©e en Bretagne. Ce flux ne devrait pas se tarir. LâINSEE prĂ©voit un accroissement de la population de 1,136 Million dâhabitants pour 2040 (hypothĂšse moyenne) soit un accroissement de prĂšs de 26% de la population de la rĂ©gion, dont 87% serait issu du solde migratoire. Si certains sâen rĂ©jouissent, il faut dâabord sâinterroger sur la nature de ce courant et son impact spatial.
Combinant migrations internes et externes, ces mouvements de population ne bĂ©nĂ©ficient pas de maniĂšre quantitative et qualitative Ă tous les espaces de la rĂ©gion. Les mĂ©tropoles de Nantes et Rennes drainent les flux de jeunes actifs et bĂ©nĂ©ficient de ce fait dâun solde naturel avantageux (+3 500 h/an pour Rennes ; + 4 500 pour Nantes) mais Ă©largissent en Ă©change leur aire urbaine du fait de la pĂ©riurbanisation et de la rurbanisation, accentuant de ce fait les migrations pendulaires. En vieillissant cette population rejoint le comportement dominant des migrants ĂągĂ©s, recherchant une installation littorale. La part importante des retraitĂ©s dans les flux migratoires externes (23% de +60 ans en 2007 ; 33% prĂ©vus en 2040) sâoriente en effet vers ces lieux de villĂ©giature proches de la mer : 87% dâentre-eux ont choisi cette destination entre 2002 et 2008, surtout vers la cĂŽte sud. Ainsi le territoire de la rĂ©gion se trouveât-il soumis Ă des mobilitĂ©s qui varient en fonction des Ă©tapes de la vie des individus, de leurs activitĂ©s et loisirs, des contraintes matĂ©rielles et des reprĂ©sentations auxquelles les populations sont dĂ©sormais assujetties. Ces nouveaux flux, plus instables car conjoncturels, modifient donc fortement la rĂ©partition de la population au sein de lâespace rĂ©gional. Dans lâavenir, si rien nâest fait, ils en accentueront les dĂ©sĂ©quilibres.
Ces deux cartes de Jean Ollivro soulignent bien les dĂ©sĂ©quilibres en cours dans la rĂ©partition de la population sur le territoire de la rĂ©gion et sur la mobilitĂ© quâimpose aux actifs la logique de la mĂ©tropolisation. Extraits : Jean Ollivro âProjet Bretagne, Ă©ditions ApogĂ©e, janvier 2010.
Une aggravation des déséquilibres spatiaux :
Dans un contexte dâorganisation rĂ©gi par les seuls comportements individuels soumis aux contraintes dâune Ă©conomie de marchĂ©, ces distorsions dans lâĂ©quilibre du territoire rĂ©gional ne peuvent donc que sâaccroĂźtre. Pire, en certains territoires favorisĂ©s, elles semblent parfois ĂȘtre souhaitĂ©es et construire une stratĂ©gie de « dĂ©veloppement ».
- La mĂ©tropolisation de lâest de la rĂ©gion est en cours. Elle rĂ©sulte de ces dynamiques dĂ©mographiques. Les aires urbaines de Rennes et Nantes ne cessent de sâaccroĂźtre et sont sur le point de se rejoindre, imposant bientĂŽt un continuum urbain de S-Malo Ă Nantes, voire au-delĂ plus au sud. Mais elles ne font que traduire le rĂ©sultat dâune volontĂ© politique qui part du principe que la croissance des emplois et le rayonnement dâun territoire ne peuvent ĂȘtre obtenus quâĂ partir dâun seuil critique dâagglomĂ©ration concentrant les moyens humains et les pouvoirs dĂ©cisionnels (autour de 500 000 habitants agglomĂ©rĂ©s).
Grandes aires urbaines en 2010
LâĂ©volution des aires urbaine sur cette pĂ©riode comprise entre 1982 et 2010, montre lâimportance et surtout la rapide extension des aires des mĂ©tropoles rennaises et nantaise. Entre lâEst et lâOuest du territoire rĂ©gional, un vĂ©ritable dĂ©sĂ©quilibre apparaĂźt alors. Dans quelques annĂ©es, si rien nâest fait, câest bien une rĂ©elle conurbation N/S qui aura pris forme entre Saint Malo et le sud de la Loire atlantique.
Câest visiblement en faveur de ce modĂšle mĂ©tropolitain quâont optĂ© les Ă©diles de Rennes, Nantes ou Brest, se liant Ă dâautres villes du grand Ouest en un rĂ©seau matĂ©rialisĂ© en FĂ©vrier 2012 par la crĂ©ation du Syndicat Loire-Bretagne qui les associe aux agglomĂ©rations de Saint-Nazaire et Angers). On retrouve lĂ , au passage, lâapplication de la stratĂ©gie dĂ©finie dĂšs 2005 par la CRPM au sein de lâAssemblĂ©e des villes de lâArc Atlantique (SchĂ©ma de DĂ©veloppement de lâEspace Atlantique de Porto âvoir carte dans le chapitre « La Bretagne au sein de la Façade atlantique »-) qui reprenait la notion de « PĂŽles mĂ©tropolitains » imaginĂ©e par la DATAR en 2004. Cette stratĂ©gie sâaffirme suite aux conclusions la « Commission Balladur », favorable Ă ce mode dâorganisation du territoire national. DĂ©sormais ce modĂšle mĂ©tropolitain, se fondant sur la Loi de rĂ©forme des collectivitĂ©s territoriales de dĂ©cembre 2010 qui en dĂ©coule, donne Ă ces entitĂ©s urbaines une existence officielle Ă partir dâun seuil de 450 000 h agglomĂ©rĂ©s et leur offre lâillusion que la masse acquise par la concentration et le regroupement permet Ă la fois reconnaissance et capacitĂ© dâaction. Nantes et Rennes se sont donc inscrites rapidement dans ce schĂ©ma dâorganisation, bĂ©nĂ©ficiant des dotations affĂ©rentes ; Brest en jouit dĂ©sormais, aprĂšs dĂ©rogation en 2013, jouant sur son Ă©quipement en services et fonctions. Cette vision de lâorganisation des espaces qui se met en place de maniĂšre dĂ©libĂ©rĂ©e, sans dĂ©bat avec la population bretonne et ses instances reprĂ©sentatives, ignore toute notion dâĂ©quilibre rĂ©gional, feint de mĂ©connaĂźtre les effets pervers que toute concentration humaine gĂ©nĂšre : consommation dâespace, artificialisation des sols, spĂ©culation fonciĂšre, sĂ©grĂ©gation sociale et gĂ©nĂ©rationnelle, insĂ©curitĂ©, coĂ»t des rĂ©seaux et infrastructures, dĂ©responsabilisation Ă lâĂ©gard des enjeux environnementaux (voir texte en annexe : La mĂ©tropolisation, un modĂšle obsolĂšte ?). Elle sâappuie sur le fait que cette polarisation du territoire rĂ©gional reste encore bien insuffisante en Bretagne, au regard de ce qui se passe ailleurs en Europe. Pourtant la coalescence des aires urbaines de Saint Malo, Rennes, Nantes et Saint Nazaire est en cours (voir carte) et risque Ă terme de gĂ©nĂ©rer Ă lâest de la rĂ©gion une conurbation de plus dâun million et demi dâhabitants, rĂ©unifiant, de fait, la Loire Atlantique Ă la rĂ©gion Bretagne. Lâenjeu de lâaĂ©roport de ND des Landes se situe, pour partie, dans ce contexte et semble constituer un Ă©lĂ©ment composant cette stratĂ©gie mĂ©tropolitaine.
Déséquilibres territoriaux et dynamiques spatiales en 2011
Cette carte souligne plusieurs phĂ©nomĂšnes en cours dans lâespace rĂ©gional. Certains amorcĂ©s depuis longtemps sâaccĂ©lĂšrent. Dâautres relĂšvent dâun retournement de situation rĂ©sultant de lâadaptation des populations aux contraintes du marchĂ© dans un espace dĂ©sormais soumis Ă une absence de rĂ©gulation :
- le renforcement du processus de mĂ©tropolisation Ă lâest avec, en devenir, la mise en place dâune vĂ©ritable conurbation N/S de Saint Malo Ă Nantes et mĂȘme au-delĂ .
- Une densification du littoral conduisant Ă la fusion des aires urbaines littorales, notamment sur le littoral sud.
- Une rupture franche au sein du territoire rĂ©gional entre lâOuest et lâEst.
- Une reconquĂȘte par rurbanisation de portions de territoires de la « Bretagne centrale », sous les effets des pressions littorale et mĂ©tropolitaine, vĂ©ritable inversion des processus dâabandon qui avaient cours il y a encore 10 ans.
- La pression littorale en est la seconde rĂ©sultante. Les cĂŽtes bretonnes sont la portion du littoral national oĂč cette pression est dĂ©sormais la plus forte. Avec des densitĂ©s de peuplement dĂ©jĂ Ă©levĂ©es (247 h/km2), sur une bande littorale qui rassemble les 2/3 de la population, on enregistre les plus forts taux de croissance dĂ©mographique : jusquâĂ 3,3%/an, notamment dans les secteurs de la cĂŽte Sud (Pays de Vannes, dâAuray) ; entre 1,7%/an et 3%/an pour les rĂ©gions de Brest, Quimper, GuĂ©rande, Saint Malo. Lâengouement pour le littoral breton sâest accĂ©lĂ©rĂ© Ă la fin des annĂ©es 90, connaissant un pic en 2007 avant lâarrivĂ©e de la crise qui a un peu freinĂ© le processus. Mais surtout, cet espace est devenu un lieu de villĂ©giature pour retraitĂ©s favorisĂ©s, notamment dans les Ăźles. Cette croissance rĂ©sulte de lâarrivĂ©e de populations aisĂ©es venant en vacances puis en retraite dans la rĂ©gion, privilĂ©giant le bord de mer. On parle dĂ©sormais dâune « Breizh riviera ». Il en rĂ©sulte une forte pression fonciĂšre et immobiliĂšre, introduisant en ces lieux concurrence entre activitĂ©s et Ă©viction des populations locales. Les coĂ»ts du foncier et de lâimmobilier deviennent tels, en effet, quâils Ă©cartent du littoral les jeunes mĂ©nages Ă la recherche dâune rĂ©sidence individuelle, mais aussi les personnes dĂ©pendantes du systĂšme locatif qui ont pourtant besoin de rĂ©sider sur ces lieux pour y travailler (pĂȘcheurs ou salariĂ©s de la construction navale, du tourisme, etc.). En 2004, la Bretagne concentrait le tiers des constructions rĂ©alisĂ©es sur le littoral national, le seul littoral morbihannais 10%. Ainsi, les rĂ©sidences secondaires y occupent une part importante de lâhabitat : 42 % dans le Pays dâAuray, 79% dans la commune dâArzon. Sur le parc de logements rĂ©alisĂ© en 2007, 1/3 soit 14 329 logements Ă©tait des rĂ©sidences secondaires. Celles-ci, au nombre de 200 000 actuellement en RĂ©gion Bretagne sont Ă 87% localisĂ©es sur le littoral, 56% sur le seul littoral du Morbihan. Par ailleurs, 53% de ces constructions et transactions sont le fait de personnes de plus de 60 ans. Ainsi le littoral de la rĂ©gion sâapparente peu Ă peu Ă un ghetto de vieux, ce qui nâest pas sans poser problĂšme pour lâavenir : charge en terme de soins pour ces populations ĂągĂ©es, atonie Ă©conomique Ă un moment oĂč les activitĂ©s littorales se diversifient et deviennent un enjeu majeur, avenir Ă terme de ce patrimoine bĂąti. La question devient prĂ©occupante autour des agglomĂ©rations littorales : Brest, Quimper, Saint Malo car ici se conjuguent pression urbaine et phĂ©nomĂšne de villĂ©giature.
- ConsĂ©quences de ces concentrations, cette non maĂźtrise de lâamĂ©nagement devient problĂ©matique, provoquant une diffusion de lâhabitat, une uniformisation des paysages, une vulnĂ©rabilitĂ© de ces territoires, proches en certains lieux de la thrombose. La spĂ©culation y est trĂšs forte, Ă©vinçant de ces zones des populations les moins aisĂ©es, Ă la recherche dâun habitat individuel accessible dans un cadre de vie prĂ©servĂ©. La rurbanisation autour de ces lieux de pression sâaccĂ©lĂšre, impliquant pour les populations des migrations pendulaires de plus en plus longues et pĂ©nibles. Lâaire urbaine de Rennes sâĂ©tend dĂ©sormais sur un rayon de 50km, regroupant 190 communes et couvrant 55% de la surface du dĂ©partement. Dâautre part, les habitants de la cĂŽte se replient Ă lâintĂ©rieur de la rĂ©gion, dans les zones rĂ©tro-littorales. Lâensemble de ces migrations redynamise du coup des secteurs entiers de ce qui sâapparentait Ă la Bretagne Centrale. Une vĂ©ritable discrimination sociale sâopĂšre au sein du territoire. Cette rurbanitĂ©, apparemment choisie, nâest en fait quâune soumission aux rĂšgles spĂ©culatives du marchĂ© foncier et immobilier. Elle coĂ»te cher pour les mĂ©nages (frais de transport entre domicile et travail) et pour les collectivitĂ©s locales qui les reçoivent (Ă©quipements et services). Leur seul intĂ©rĂȘt consiste en la rĂ©animation dâespaces ruraux vouĂ©s auparavant Ă lâabandon. Mais Ă quel prix !
Cette pression fonciĂšre entraĂźne par ailleurs une artificialisation grandissante des terres (habitat, activitĂ©s et commerces, infrastructures). La rĂ©gion perd actuellement au moins 5 500 ha par an aprĂšs un pic atteint en 2007 (6500 ha). Cette consommation de terres agricoles, au rythme de croissance double de celui de la population, fait de la Bretagne une des rĂ©gions de France oĂč ce processus est actuellement le plus fort (+4,8%/an ces derniĂšres annĂ©es). Le taux actuel dâartificialisation de 13% (24% sur le littoral), devrait passer en 2030 Ă 18%. Il est urgent dâenvisager une Ă©conomie de terres, une densification de lâurbanisation et de sâinterroger sur le fait mĂ©tropolitain. Si la prise de conscience est devenue depuis peu effective, il faut changer cependant les comportements (ce qui est long !) et oser remettre en cause les options qui les gĂ©nĂšrent.
La question autrefois si prĂ©occupante du Centre Bretagne, est Ă reconsidĂ©rer. Non pas que le problĂšme nâexiste plus mais son aire sâest rĂ©duite sous les effets de la rurbanisation. Les populations fuyant les mĂ©tropoles de lâEst et le littoral sont reparties dans ses campagnes, animant des bourgs moribonds et des villes de moyenne importance, mais constituant Ă lâinverse des poches de pauvretĂ© ou de forte vulnĂ©rabilitĂ© sociale comme le dĂ©montre lâexplosion du Haut LĂ©on lors de lâautomne 2013. Si le sujet reste dâactualitĂ© dans la partie orientale des monts dâArrĂ©e, le MenĂ©, le CoglĂšs, il y est attĂ©nuĂ© dans nombre de secteurs : pays de Redon, de PloĂ«rmel, de ChĂąteaubriant. Il y devient en ces lieux plus une question dâadĂ©quation des Ă©quipements en services publics et commerciaux quâune dĂ©sertification rĂ©elle. Leur suppression nâapparaĂźt plus en phase avec les mutations rapides du peuplement. Une ruralitĂ© revigorĂ©e y prend forme. Adaptation des populations Ă la conjoncture, cette nouvelle occupation du territoire ne mĂ©rite-t-elle pas, dans une option polycentrique, une attention particuliĂšre en termes dâamĂ©nagement ?
La nĂ©gation de lâidentitĂ© rĂ©gionale
Ces mutations, issues des dynamiques dâune Ă©conomie libĂ©rale non contrĂŽlĂ©e, percutent les hĂ©ritages dâorganisation et les spĂ©cificitĂ©s dâamĂ©nagement de la rĂ©gion, niant son originalitĂ©, son identitĂ© propre.
Le polycentrisme caractĂ©ristique de la rĂ©gion est dĂ©sormais bousculĂ© par la mĂ©tropolisation. Son rĂ©seau de villes moyennes dissĂ©minĂ©es, notamment tout le long du littoral, ne rĂ©siste plus Ă la domination des agglomĂ©rations de lâest qui sâĂ©rigent en modĂšle « performant ». MĂȘme lâagglomĂ©ration brestoise adopte cette dynamique. Ce mouvement rĂ©cent bouscule cet hĂ©ritage si caractĂ©ristique des territoires atlantiques. Pire, il nie le fait que ce rĂ©seau polycentrique (Cf. lâassociation originale des « Villes de Bretagne » qui le fĂ©dĂšre) rĂ©pond Ă cette occupation soutenable du milieu dĂ©sormais souhaitĂ©e par les hommes. DĂ©fendre ces unitĂ©s de vie de petite taille, câest rĂ©affirmer le lien rĂ©ciproque et Ă©quilibrĂ© entre la ville et la campagne, limiter les dĂ©placements, offrir un cadre de vie de qualitĂ© aux populations tout en prĂ©servant une ruralitĂ© nĂ©cessaire et un emploi pĂ©renne. Tout le contraire de cette urbanisation en nappe si inorganique et qui ne rĂ©pond plus aux fonctions premiĂšres de la ville : sociabilitĂ© et gain de temps.
La rupture Ouest/Est constitue la seconde prĂ©occupation. DĂ©jĂ dĂ©noncĂ©e il y a 20 ans, la rupture territoriale ne cesse de se renforcer de part et dâautre de lâaxe Saint Malo-Lorient : Ă lâEst une Bretagne mĂ©tropolitaine, active, sâintĂ©grant de fait Ă lâespace francilien ; Ă lâOuest une pĂ©ninsule plus rurale et maritime, en dĂ©pĂ©rissement, qui cristallise ses derniĂšres forces sur la mĂ©tropole brestoise. LâunitĂ© rĂ©gionale Ă©clate sous nos yeux sans quâaucune correction ne sâopĂšre.
Avec la dimension maritime de la rĂ©gion cette question apparaĂźt encore plus flagrante. Alors que la mer constitue le dernier grand enjeu de lâhumanitĂ©, ici elle ne semble vouĂ©e quâĂ une seule fonction exutoire et fantasmĂ©e, celle du tourisme, de la villĂ©giature et des activitĂ©s de loisirs (plaisance) souhaitĂ©e par les populations issues de ces mĂ©tropoles. Il suffit pour cela dâobserver lâintensitĂ© des flux migratoires qui sâopĂšrent entre les deux Ă chaque week-end, Ă chaque congĂ© pour sâen convaincre. Pourtant la mer offre un immense potentiel Ă©conomique auquel les rivages qui constituent nĂ©cessairement les bases dâorganisation, doivent sâadapter. Ressource halieutique et agriculture littorale, commerce maritime et industrie portuaire, nouvelles Ă©nergies en mer sont les fondements de lâĂ©conomie de demain. Toute une maritimitĂ©, jadis florissante et qui, dans le passĂ©, a structurĂ© la rĂ©gion (villes-ports ; densitĂ© littorale ; activitĂ©s halieutiques ; agriculture littorale), ne demande quâĂ se maintenir et donner un nouvel Ă©lan Ă la rĂ©gion. Encore faut-il en accepter les principes, prĂ©server le potentiel de ce territoire et lâadapter Ă ces mutations. Lâavenir de la rĂ©gion est dans la mer, sur ses rivages, non dans ce seul tableau mythifiĂ© et rĂȘvĂ© quâelle offre aux populations en provenance du continent. Il nâest pas non plus rĂ©servĂ© Ă lâunique dĂ©veloppement mĂ©tropolitain de sa frange orientale.
Bibliographie indicative :
- OLLIVRO Jean, Les paradoxes de la Bretagne, éditions Apogée, Janvier 2005.
- Bretagne Prospective, Le livre blanc de la Bretagne, éditions du Temps, Janvier 2008.
- LANDEAU Christian et REVERT Jean âFrançois (sous la direction), Rennes/Saint Malo 2025 : un dessein commun ?, Actes des journĂ©es rencontre des 30 et 31 mai 2008, Ă©ditions ApogĂ©e, Janvier 2009.
- OLLIVRO Jean, Projet Bretagne â Pour une Bretagne belle, prospĂšre, solidaire, ouverte sur le monde, Ă©ditions ApogĂ©e, Janvier 2010.
- GOURLAY Florence et LE DELEZIR Ronan, Atlas de la Bretagne â Les dynamiques du dĂ©veloppement durable, CNDP-CRDP, Ă©ditions Autrement, Avril 2011.
- LESCOAT Jacques, Bretagne des Villes, Conférence des villes de Bretagne, Octobre 2011.
- GUILLUY Christophe, Fractures françaises, François Bourin Editeur, mai 2012.
TIROIR : La métropolisation, un modÚle obsolÚte |
Auteur : Yves LEBAHY - Géographe
Intervention des 3Úmes Rencontres géographiques de Lorient Association « Géographes de Bretagne » le 18 Avril 2013(2)
DĂšs le dĂ©but des annĂ©es 2000, date dâarrĂȘt de toute rĂ©elle politique dâamĂ©nagement au profit des jeux du marchĂ©, la Bretagne vit un grand dĂ©rangement. Depuis « lâAppel contre la mĂ©tropolisation », lancĂ© en 2011, un vĂ©ritable dĂ©bat sâest instaurĂ© dans la rĂ©gion entre tenants et dĂ©tracteurs. Deux visions sâaffrontent : laisser-faire et adaptation dâun cĂŽtĂ©, organisation en relation avec un projet de sociĂ©tĂ© de lâautre.
Le premier point de vue considĂšre que la polarisation, accompagnĂ©e dâune mobilitĂ© sans contrainte des populations, sâadapte mieux aux contingences du marchĂ© et que la mĂ©tropolisation qui en rĂ©sulte est indispensable au dĂ©veloppement des territoires en facilitant leur insertion dans la mondialisation. Lâautre dĂ©fend lâidĂ©e que le polycentrisme de la Bretagne constitue au contraire un atout pour son dĂ©veloppement Ă plus long terme et sâintĂšgre dans un projet de sociĂ©tĂ© posant en postulat la question des Ă©quilibres sociaux, environnementaux et territoriaux et le maintien de lâoriginalitĂ© sociale et culturelle de la rĂ©gion.
Ce dĂ©bat sâinstaure Ă un moment oĂč la Bretagne connaĂźt une forte croissance dĂ©mographique, rĂ©sultant de cette mobilitĂ©. Issus de territoires extĂ©rieurs, principalement dâĂle-de-France, ces flux sâorientent, sans contrĂŽle rĂ©el, vers le littoral, sud de prĂ©fĂ©rence, mais aussi vers les agglomĂ©rations de lâest de la rĂ©gion. La dilatation non maĂźtrisĂ©e des aires urbaines de Rennes et Nantes - Saint-Nazaire apparaĂźt, pour certains, comme la preuve dâun dynamisme retrouvĂ©. Mais les dĂ©sĂ©quilibres quâils engendrent ne posent-ils pas fondamentalement la question de lâĂ©laboration dâun vĂ©ritable projet dâamĂ©nagement ?
De la « ville-métropole » à la « ville-entreprise » :
Lâoption mĂ©tropolitaine consiste Ă laisser sâopĂ©rer la concentration des hommes en certains lieux, transformant au passage le sens mĂȘme de la notion de « mĂ©tropole ». Jusquâaux annĂ©es 90, ce terme Ă©tait dĂ©volu par les gĂ©ographes aux villes dĂ©tentrices dâun pouvoir essentiellement politique. DĂ©sormais, câest la donne Ă©conomique qui a pris le relais et sâĂ©rige en moteur du dynamisme urbain.
Des auteurs comme Laurent Davezies et Pierre Veltz promeuvent cette vision trĂšs libĂ©rale auprĂšs des responsables politiques des grandes villes, lesquels sâempressent de la promouvoir Ă leur tour, tant elle paraĂźt flatteuse Ă plus dâun titre. Cette mĂ©tropolisation devient alors une Ă©vidence, un sĂ©same au « dĂ©veloppement », un moyen de surmonter la crise, en oubliant que le marchĂ© nâest quâun Ă©lĂ©ment, parmi dâautres, des composantes dâune vie sociale. Et la survie de notre sociĂ©tĂ© ne reposera ni sur lâinstabilitĂ©, ni sur les concentrations dâhommes et de richesses, mais dans les Ă©quilibres et les permanences. Cette attitude stĂ©rĂ©otypĂ©e se rĂ©vĂšle nĂ©faste pour lâidĂ©e mĂȘme de mĂ©tropolisation. La connexion Ă lâĂ©conomie monde est une nĂ©cessitĂ©, les Ă©changes avec les autres peuples Ă©galement ; mais les nouvelles techniques de communication ne permettent-elles pas de concevoir ces relations sous de tout autres formes ?
Car les agglomérations ne sont plus des lieux permettant de faire le maximum de choses dans le minimum de temps, ce qui constituait, il y a peu encore, une des définitions de la ville. Bien au contraire, leur taille croissant, elles souffrent de thrombose, en dépit de la multiplication sans fin de leurs réseaux et ne répondent plus à la notion de productivité tant recherchée qui pourtant justifie leur croissance.
Ces centres urbains ne sont plus Ă©galement les lieux qui rayonnent. Trop nombreux Ă lâĂ©chelle de la planĂšte, ils se font une concurrence impitoyable. Que serait cette « Californie bretonne » au sein dâune Ă©conomie planĂ©taire avec ses quelques millions dâhabitants ? Il y a dĂ©jĂ plus de 1 500 concentrations de la sorte sur Terre, et de poids autrement plus grand (voir les mĂ©tropoles chinoises actuelles).
Certes, les meilleurs partisans du systĂšme mĂ©tropolitain nâoccultent pas les externalitĂ©s nĂ©gatives (pollution, embouteillages...), sociales et spatiales, mais elles sont prĂ©sentĂ©es comme inĂ©luctables et nĂ©cessaires.
Cependant, dans Fractures françaises, lâanalyse du gĂ©ographe Christophe Guilluy dĂ©montre crĂ»ment les enjeux sociaux et leur impact sur les territoires : lâintensification des flux migratoires liĂ©e Ă la mondialisation, la dĂ©sindustrialisation des villes et le jeu spĂ©culatif foncier et immobilier crĂ©ent des poches dâexclusion â « les quartiers » â pour les migrants internationaux et Ă©loigne les catĂ©gories moyennes et pauvres vers les pĂ©riphĂ©ries. Ces zones pĂ©riurbaines et rurales, dĂ©laissĂ©es par les services publics, deviennent des foyers de rĂ©sistance sociale et culturelle : votes protestataires de la prĂ©sidentielle 2012, mais aussi Ă©mergence dâun contre-modĂšle de vie Ă lâoption mĂ©tropolitaine, plus global.
Lâimpact foncier et environnemental :
Dans cette redistribution sociale, le territoire rural nâest plus quâun espace Ă consommer. La seule RĂ©gion Bretagne dilapide plus de 6 500 ha par an depuis dix ans, câest-Ă -dire plus du dixiĂšme des 60 000 ha consommĂ©s chaque annĂ©e sur le territoire national. Cette pression enregistrĂ©e tant sur les couronnes pĂ©riurbaines que sur le littoral contribue Ă dĂ©stabiliser une activitĂ© agricole pourtant garante des Ă©quilibres environnementaux et productions fondamentales.
Lâartificialisation des sols (Ă©quipements, routes), les rejets non maĂźtrisĂ©s dâeaux usĂ©es en dĂ©pit des traitements, les prĂ©lĂšvements croissants dâeau potable ont des impacts trĂšs lourds sur les sols, mais surtout sur les mers bordiĂšres environnantes, via le cycle de lâeau. Un Rennais ou un Nantais, alimentĂ© en eau potable par le barrage dâArzal, ne mesure pas Ă quel point son prĂ©lĂšvement et ses rejets participent au dĂ©sĂ©quilibre du Mor Braz, autrefois le plus riche gisement halieutique de la cĂŽte atlantique française. Aussi, confier la gestion de ces territoires ruraux et/ou maritimes aux mĂ©tropoles, lieux coupĂ©s des rĂ©alitĂ©s du milieu naturel, comme lâa suggĂ©rĂ© le projet Baylimer du Grenelle de la mer, relĂšve-t-il de lâinconsĂ©quence la plus grave.
La ville doit retrouver cette fonction dâintĂ©gration sociale et intergĂ©nĂ©rationnelle quâelle a longtemps eue, qui lie la production aux Ă©changes et aux dĂ©cisions dans le temps le plus court, ses relations complĂ©mentaires avec les campagnes environnantes. Seules les villes moyennes, en lien avec leur territoire de proximitĂ©, semblent encore en mesure de rĂ©pondre Ă de telles orientations. De plus, si le pouvoir rĂ©side bien au croisement des technologies de pointe de lâinformation et de la communication, dont le numĂ©rique est lâĂ©pine dorsale, nul besoin, pour que ces systĂšmes fonctionnent, de concentration, de mĂ©tropolisation. Des villes, mĂȘme petites, des laboratoires et des universitĂ©s, des centres de recherche peuvent jouer le mĂȘme rĂŽle dĂšs lors quâils affichent solidaritĂ© et fonctionnement en rĂ©seau sur un territoire rĂ©gional (ex: les laboratoires de biologie marine de Roscoff ou la petite universitĂ© dâAberystwyth au Pays de Galles).
Domination urbaine :
La remise en cause de la vision polycentrique facilite lâintĂ©gration des mĂ©tropoles rennaise et nantaise Ă une large banlieue du futur grand Paris. Car il ne faut pas rĂȘver. En dĂ©pit de leurs efforts, ces mĂ©tropoles restent des naines Ă lâĂ©chelle europĂ©enne et encore plus mondiale. Par contre, leurs efforts Ă imiter les puissants les infĂ©odent Ă ces derniers. La LGV atlantique, lâaĂ©roport de Notre-Dame-des-Landes ne sont que des Ă©quipements facilitant cette domination.
En rĂ©sulte une marginalisation de plus en plus nette des villes de basse Bretagne, de la mĂ©tropole brestoise en particulier. Et le dynamisme apparent des campagnes, notamment des marges de la Bretagne centrale, ne sâexplique actuellement que par le reflux des populations obligĂ©es de quitter les centre villes.
La construction en rĂ©seau, traditionnelle dans lâhistoire de la Bretagne, conserve toute son importance, notamment en cette pĂ©riode de crise profonde oĂč les emplois productifs sont seuls garants du maintien dâune activitĂ© Ă©conomique. Seule une vision rĂ©gionale, nâabandonnant aucun des espaces de son territoire, constitue le gage de solidaritĂ© et dâoriginalitĂ© nĂ©cessaire Ă sa survie et Ă celle de sa population.
Il apparaĂźt anormal que la RĂ©gion elle-mĂȘme ne se soit pas dotĂ©e de sa propre agence dâamĂ©nagement. Il est Ă©tonnant que celle-ci ait confiĂ© aux agences dâurbanisme des quatre plus grosses agglomĂ©rations (Rennes, Brest, Lorient et Saint-Brieuc) de discuter seules de lâavenir de lâensemble de son territoire, ces agences ne reprĂ©sentant quâun tiers de la population bretonne actuelle, nouvelle forme de domination urbaine. En outre, il est effarant de constater que ce travail de prospective nâintĂšgre pas la Loire-Atlantique et ses deux agglomĂ©rations nazairienne et nantaise, qui rayonnent sur toute la Bretagne sud.
Du coup, les questions sociales, environnementales et de typologie urbaine liĂ©es Ă la gĂ©ographie de la rĂ©gion et aux hĂ©ritages particuliers de son histoire sont Ă©vacuĂ©es. Pourtant, elles prĂ©sident tout autant Ă lâĂ©mergence du « vivre ensemble ». Il est symptomatique de constater que dans tous ces textes traitant du fait urbain et de lâavenir de la Bretagne, les notions de pays, de villes-pays, de villes-ports, pourtant Ă lâhonneur il y a encore quelque temps, sont dĂ©sormais absentes des dĂ©bats.
Un autre modĂšle est pourtant possible :
Câest bien aujourdâhui un choix fondamental de sociĂ©tĂ© qui sâimpose Ă nous, entre un modĂšle urbain rĂ©sultant dâune Ă©conomie libĂ©rale de consommation et une option plus volontaire et responsable, car dâapproche plus globale et sâappuyant sur nos particularismes et hĂ©ritages. Ă lâissue de deux longs siĂšcles de croissance provoquĂ©e par la rĂ©volution industrielle et ses impacts en matiĂšre Ă©conomique, financiĂšre et spatiale, nous arrivons Ă un tournant crucial de lâhistoire de lâhumanitĂ© qui nous est signifiĂ© par la crise climatique, traduction dâune rupture Ă©lĂ©mentaire entre lâhomme et son milieu.
La Bretagne doit dĂ©fendre une autre façon de vivre en portant un projet plus responsable et plus particulier que celui de la mĂ©tropolisation. Son Ă©conomie nâen souffrira pas, bien au contraire, en affirmant des voies originales. Elle a encore les forces vives suffisantes pour le mener Ă bien (jeunesse, solidaritĂ©s vivantes, socle dâactivitĂ©s primaires, dimension maritime et portuaire ouverte sur le monde, environnement et paysages). Mais, pour cela, ne faudrait-il pas confier Ă nos Ă©lus territoriaux des pouvoirs plus grands en matiĂšre dâamĂ©nagement ? Ne devraient-ils pas, par ailleurs, ĂȘtre Ă©galement « porteurs des identitĂ©s collectives et pas seulement dâun dĂ©coupage territorial » (2) ?
Notes :
(1) Cet article a été publié dans le journal Le Peuple Breton de Mai 2013, n°592
(2) Jacques Beauchard, « Une rĂ©volution dans lâespace français : la ville contre le territoire ? », Population et avenir, n° 708, mai-juin 2012.