Géographie de la Bretagne/Les structures administratives
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'''Auteur : Loeiz Laurent''' | '''Auteur : Loeiz Laurent''' |
Version du 2 septembre 2015 Ă 12:23
Sommaire |
Les structures administratives (1994)
Auteur : Loeiz Laurent
Les structures administratives infrarégionales (2014)
Auteur : Loeiz Laurent
1994 fut pour les « pays » lâannĂ©e de toutes les espĂ©rances. CommencĂ© en 1993, un grand dĂ©bat national sur lâamĂ©nagement du territoire sâachevait. Il devait dĂ©boucher le 4 fĂ©vrier 1995 sur le vote dâune loi consacrant lâidĂ©e de pays. Deux articles concernent lâarrondissement : « Il est tenu compte de lâexistence des pays pour lâorganisation des services de lâĂtat et la dĂ©limitation des arrondissements » (article 24) ; « Le dĂ©lĂ©guĂ© dans lâarrondissement du reprĂ©sentant de lâĂtat dans le dĂ©partement exerce, par dĂ©lĂ©gation, tout ou partie des attributions dĂ©volues Ă ce dernier. A ce titre, il anime et coordonne l'action des services de lâĂtat dans l'arrondissement » (article 25). Une rĂ©novation complĂšte de lâanimation de nos territoires Ă©tait en puissance dans ces lignes approuvĂ©es par tous les grands partis. En mai une circulaire signĂ©e du ministre de lâIntĂ©rieur, Charles Pasqua, invitait Ă prĂ©figurer localement les pays du 21Ăšme siĂšcle. Jacques Faucheux, maire socialiste de FougĂšres, et Marie-ThĂ©rĂšse Boisseau, dĂ©putĂ© UDF, posaient la candidature du pays de FougĂšres pour une expĂ©rience de dĂ©concentration budgĂ©taire par ailleurs prĂŽnĂ©e par le dĂ©lĂ©guĂ© Ă lâamĂ©nagement du territoire : « Que les sous-prĂ©fets reçoivent une enveloppe globale de tous les crĂ©dits dâĂtat â sauf les fonctions rĂ©galiennes â et mettent les Ă©lus en situation d'arbitrer et non pas de quĂ©mander » Ă©crivait en 1995 Jean-Louis Guigou dans Une ambition pour le territoire. Il se trouve que câĂ©tait page sang neuf. Tous les espoirs Ă©taient permis.
Malheureusement, interceptĂ©e avant dâarriver Ă la Datar, la demande de FougĂšres restera sans rĂ©ponse. Pasqua nâest plus au gouvernement. Les textes dâapplication Ă sortir dans les 18 mois ne viennent pas. En 1996 et 1997 le Commissariat Ă la rĂ©forme de lâĂtat ignore lâarrondissement dans ses prescriptions. Les nouvelles lois de dĂ©centralisation Ă©galement. Pour clore le tout, la loi de rĂ©forme des collectivitĂ©s territoriales votĂ©e le 16 dĂ©cembre 2010 abroge en son article 51 les dispositions relatives aux pays. Aujourd'hui, malgrĂ© le changement de majoritĂ©, nous en sommes encore lĂ . DĂ©partementaliste Ă tout va, le SĂ©nat parle de remplacer les pays par des pĂŽles ruraux dâamĂ©nagement et de coopĂ©ration commandant des territoires plus proches des cantons que des arrondissements. Plus aucun Ă©lu majeur, Ă droite comme Ă gauche, ne dĂ©fend lâidĂ©e de fonder notre administration territoriale sur une association des villes et des campagnes. Dans son blog, le dĂ©putĂ© centriste maire de Neuilly Jean-Christophe Fromantin parait bien isolĂ© sur ce thĂšme. Que sâest-il passĂ© ? Un recul gĂ©ographique et politique, une paralysie progressive dont on ne se sortira pas sans expĂ©rimentations locales.
Des pays centrés sur les villes aux pays ruraux
Partisans des dĂ©partements et des cantons, les lĂ©gistes dominant les ministĂšres des Finances et de lâIntĂ©rieur ont peu Ă peu rĂ©ussi Ă marginaliser les Ă©conomistes et gĂ©ographes ayant longtemps animĂ© la Datar et le Plan et partisans des rĂ©gions et des arrondissements. Les premiers ont tout fait pour Ă©mietter pays et arrondissements.
La France des lĂ©gistes, câest un Ătat centralisĂ© composant une rĂ©gion europĂ©enne unique. Câest une cinquantaine de gros dĂ©partements substituables aux rĂ©gions actuelles et quelque 2 000 communautĂ©s urbaines ou rurales venant remplacer les communes. Fusionner les dĂ©partements alsaciens ou savoyards irait dans ce sens. De gros dĂ©partements comme seuls intermĂ©diaires entre la tĂȘte nationale et la base intercommunale substituĂ©e aux communes, tel est le credo.
La France des Ă©conomistes et des gĂ©ographes, câest une fĂ©dĂ©ration fraternelle de grandes rĂ©gions animĂ©es par de vĂ©ritables mĂ©tropoles, quelque 300 agglomĂ©rations animant des bassins dâhabitat et dâemploi Ă la dimension des arrondissements et des communes vivantes coopĂ©rant fraternellement entre voisines de multiples façons.
Habiles Ă rĂ©diger les textes, nos lĂ©gistes sâemploient Ă vider de leur sens les mots de leurs adversaires. Il en va ainsi du mot mĂ©tropole. Loin dâĂȘtre chargĂ©es dâanimer de vastes pans du territoire, les mĂ©tropoles vont se voir octroyer des compĂ©tences essentiellement locales jusquâici abusivement centralisĂ©es Ă la rĂ©gion ou au dĂ©partement. Leur tutelle sur les communes sera Ă©galement renforcĂ©e. De mĂȘme pour le mot pays. Il devait exprimer « les solidaritĂ©s rĂ©ciproques entre la ville et lâespace rural » disait en 1994 le projet de loi Pasqua. Un « le cas Ă©chĂ©ant » sera glissĂ© en 1995 dans le texte votĂ©. Tout faire pour ruraliser les pays, les rapprocher des cantons, les Ă©loigner des arrondissements. Ces derniers, pris comme cibles, sont par ailleurs dĂ©pouillĂ©s de leurs hĂŽpitaux, maternitĂ©s, tribunaux dâinstance, chambres de commerce ou sous-prĂ©fets.
Trois cartes de Bretagne tĂ©moignent du progressif Ă©miettement des pays depuis 1964. Toutes trois ont pour fond les aires urbaines dĂ©finies en 2010 par lâInsee Ă partir des donnĂ©es du recensement 2008. Les « grandes aires urbaines », au nombre de 17, y figurent en gris foncĂ©. Rappelons leur dĂ©finition : « ensembles de communes, d'un seul tenant et sans enclave, constituĂ©s par un pĂŽle urbain (unitĂ© urbaine) de plus de 10 000 emplois, et par des communes rurales ou unitĂ©s urbaines (couronne pĂ©riurbaine) dont au moins 40 % de la population rĂ©sidente ayant un emploi travaille dans le pĂŽle ou dans des communes attirĂ©es par celui-ci ». Le gris pĂąle regroupe les aires « petites » ou « moyennes » centrĂ©es sur des pĂŽles offrant plus de 1 500 ou 5 000 emplois et un certain nombre de communes dites « multipolarisĂ©es », 40% au moins de leurs actifs ayant un emploi travaillant dans une aire urbaine plus ou moins importante. Sont en blanc les communes gardant la plupart de leurs actifs, communes Ă©loignĂ©es des villes ou riches en emplois comme LanvĂ©oc dans la presquâile de Crozon, siĂšge de lâĂcole navale et dâune base aĂ©ronautique.
14 ZEDE (Zones dâĂtudes DĂ©mographiques et dâEmploi) dessinĂ©es Ă lâinitiative du Commissariat gĂ©nĂ©ral au Plan dĂ©coupent la Bretagne en 1964. Arguant que lâon parlait couramment des pays de Rennes, de Vannes ou de Lorient, le terme de « pays » a Ă©tĂ© proposĂ© par le service Ătudes de la direction rĂ©gionale de lâInsee Ă Rennes pour les dĂ©signer. Il fut Ă©cartĂ© au motif que ce mot pouvait ĂȘtre utilisĂ© par les gĂ©ographes dans un sens parfois diffĂ©rent. Il fallait Ă©galement se garder dâeffaroucher le ministĂšre de lâintĂ©rieur, craignant quâil ne sâagisse de mettre en place une nouvelle dĂ©finition des dĂ©partements. Cinquante ans ont passĂ©. On ne peut quâadmirer la façon dont ces territoires conçus pour planifier la rĂ©partition des Ă©quipements collectifs sâaccordent avec les grandes aires urbaines reflĂ©tant aujourd'hui la vie rĂ©gionale. Il en va de mĂȘme partout ailleurs en France.
Le Livre blanc du CĂ©lib, Bretagne : une ambition nouvelle, est publiĂ© en 1971 aprĂšs deux ans dâune intense mobilisation rĂ©gionale. On y propose ni plus ni moins de remplacer par quinze pays les cinq dĂ©partements bretons. Proche du dĂ©coupage prĂ©cĂ©dent, ce nouveau dĂ©coupage prĂ©figure lui aussi le dessin de nos aires urbaines.
Fallait-il promouvoir les pays par des lois venues dâen haut ? Telle fut lâidĂ©e des lois Pasqua en 1995 et Voynet en 1999. Mais câĂ©tait agiter le chiffon rouge face Ă une administration centrale experte dans lâart de vider les textes de toute substance et ne voulant du pays Ă aucun prix. Les pays nâexpriment plus que « le cas Ă©chĂ©ant » les solidaritĂ©s rĂ©ciproques entre la ville et lâespace rural. RejetĂ© vers le monde rural, on les oppose aux agglomĂ©rations. Leur dessin nâest pas confiĂ© aux rĂ©gions, pourtant compĂ©tentes en matiĂšre dâamĂ©nagement du territoire, mais aux commissions dĂ©partementales de coopĂ©ration intercommunales créées en 1992 pour un tout autre objet. Des groupes de deux ou trois cantons ruraux vont obtenir ainsi un peu partout en France statut de « pays ». En Bretagne, mordant sur les aires urbaines de Nantes et de Rennes, les pays de Retz, de Machecoul et Lognes, du Vignoble nantais, de PontchĂąteau, de Nozay, de BrocĂ©liande ou des Vallons de Vilaine ne sauraient avoir lâambition de remplacer un jour les dĂ©partements.
Ajoutons aux trois cartes de Bretagne deux autres cartes. Comme les aires urbaines, mais cette fois-ci couvrant tout lâespace, quelque 420 bassins dâemploi dessinĂ©s Ă Rennes en 1990 associent les villes grandes, moyennes et parfois petites Ă leur environnement rural. Plus proches des arrondissements que des dĂ©partements comme le montre la carte ci-dessus, ils peuvent ĂȘtre avantageusement rapprochĂ©s des pays.
En Bretagne comme dans le reste de la France, les bassins dâemploi centrĂ©s sur les chefs-lieux dâarrondissement couvrent la quasi-totalitĂ© du territoire. A leurs franges, protĂ©gĂ©es par la distance, de petites villes ayant parfois perdu en 1926 leur statut de chef-lieu dâarrondissement parviennent Ă garder une certaine autonomie. En 2010, vingt ans aprĂšs le tracĂ© des bassins dâemploi, les aires urbaines sâinscrivent toujours dans leurs contours.
Le recul de la démocratie locale
Sâil y a eu recul dans la conception des pays, il y a eu Ă©galement, sous diverses influences, recul de la dĂ©mocratie locale. Le transfert aux prĂ©sidents des dĂ©partements et rĂ©gions de pouvoirs exĂ©cutifs jusque lĂ exercĂ©s par des prĂ©fets et la fin de la tutelle de ces derniers sur les communes au dĂ©but des annĂ©es 80 sont souvent prĂ©sentĂ©s comme des avancĂ©es de la dĂ©mocratie. En fait une tutelle humaine et souvent comprĂ©hensive a Ă©tĂ© troquĂ©e contre une avalanche de textes normatifs rĂ©digĂ©s Ă Paris. On se plaint du trop grand nombre de nos communes, mais on estime Ă 400 000 le nombre de normes venues les encadrer. Les Ă©lus sont devenus de quasi fonctionnaires au comportement dictĂ© en toute circonstance. Les nouvelles lois Ă©lectorales accroissant le pouvoir des grands partis, ceux-ci sont devenus des agences de placement, le choix des Ă©lus Ă©chappant de plus en plus aux Ă©lecteurs. Alors quâen 2012 PS et UMP rĂ©unis nâont obtenu au premier tour des PrĂ©sidentielles que 23 % des voix des Ă©lecteurs inscrits, ces partis voient croĂźtre leur poids dans la dĂ©signation des futurs Ă©lus et la population baisser le sien.
Aux Ă©lections municipales de 2014, seront touchĂ©es les communes ayant de 1 000 Ă 3 500 habitants, soit quelque 650 communes bretonnes rassemblant 1 200 000 habitants. Longtemps le citoyen y fut roi ; les suffrages Ă©taient comptabilisĂ©s individuellement ; le panachage Ă©tait autorisĂ© ; lâon pouvait mĂȘme inscrire des non candidats ; candidatures isolĂ©es et listes incomplĂštes Ă©taient autorisĂ©es en dessous de 2 500 habitants. Rien de tel Ă prĂ©sent. Les listes doivent ĂȘtre entiĂšres dĂ©sormais et lâĂ©lecteur ne pourra plus panacher. Lâordre dans les listes sâimposant Ă lâĂ©lecteur, les candidats sont mis en position Ă©ligible ou non avant lâĂ©lection. Bien des communes en rĂ©alitĂ© nâauront quâune liste. Pourquoi voter ? LâĂ©lection directe des conseillers communautaires Ă lâoccasion des Ă©lections municipales nâaura rien non plus dâune rĂ©elle avancĂ©e dĂ©mocratique ; ces conseillers auront Ă©tĂ© « flĂ©chĂ©s » sur les listes avant le scrutin.
Aux Ă©lections dĂ©partementales, des binĂŽmes hĂ©tĂ©rosexuels seront Ă©lus ou battus en bloc dans de nouveaux cantons. Sans proportionnalitĂ© aucune, 51% des voix leur apporteront deux siĂšges au sein du nouveau conseil dĂ©partemental, reprise dâune appellation abandonnĂ©e peu aprĂšs le projet de constitution du 30 janvier 1944. Aux Ă©lections rĂ©gionales, le scrutin de liste pratiquĂ© dans le cadre trop vaste des dĂ©partements renforce ces derniers, sĂ©pare lâĂ©lu du citoyen et prĂ©dĂ©termine la composition des assemblĂ©es, les Ă©lecteurs Ă©tant censĂ©s, comme dans les communes de plus de mille habitants, prĂ©fĂ©rer les tĂȘtes de liste. ProposĂ©e en dĂ©cembre 2010 par lâUMP, lâinterdiction de cumuler avec un mandat exĂ©cutif dâune commune ou communautĂ© de plus de 30.000 habitants reste Ă lâĂ©tat de menace. Une telle interdiction aurait privĂ© une institution chargĂ©e de discuter des Ă©quipements stratĂ©giques et des perspectives Ă long terme de la rĂ©gion des principaux Ă©lus du terrain. PrĂ©sents de 1964 Ă 1986 dans les assemblĂ©es rĂ©gionales, jusquâen 1972 avec les reprĂ©sentants de la sociĂ©tĂ© civile, ces Ă©lus lancĂšrent en Bretagne en 1969 lâidĂ©e de pays. Ne pourrait-on permettre aux citoyens dâĂ©lire, pays par pays, leurs reprĂ©sentants Ă la rĂ©gion ? CâĂ©tait en 2008 lâidĂ©e du comitĂ© Balladur.
Expérimenter
RĂ©formes aprĂšs rĂ©formes venues dâen haut, nos gouvernements nâont rĂ©ussi quâĂ nous ankyloser et paralyser davantage, renforçant chaque fois les couches de notre millefeuille et marginalisant les pays. Il faut opĂ©rer autrement.
Mains dans les poches ou poing levĂ©, les Français attendent dĂ©sormais tout dâun Ătat supposĂ© omniscient et tout puissant. Une attente inquiĂšte, justifiĂ©e par une crise financiĂšre, Ă©cologique, europĂ©enne et identitaire laissant espĂ©rer un nouveau paradigme. Ils auraient tort toutefois dâattendre celui-ci dâune Ă©niĂšme alternance au sommet de lâĂtat. La succession des rĂ©formes passĂ©es nâa rien arrangĂ© bien au contraire. Quâil sâagisse dâĂ©cole, de santĂ©, de fiscalitĂ©, de structures territoriales, chaque rĂ©forme empile, complique, rigidifie, nous ĂŽtant souplesse et rĂ©activitĂ©. Elles font abstraction de la diversitĂ© des territoires, une commune rurale bretonne pouvant valoir un canton champenois ou pyrĂ©nĂ©en. Elles refusent toute tutelle dâun niveau sur un autre, au grand dam de lâadaptation locale des lois. Elles se mĂ©fient de la province et aujourd'hui manquent de sous. On ne peut rĂ©former par en haut sans se heurter aux vetos des hauts fonctionnaires, des associations dâĂ©lus et des syndicats. Un nouveau paradigme, sâil doit ĂȘtre, ne peut venir que dâen bas. Il implique une certaine gĂ©nĂ©rositĂ© et un certain consensus local. Plus capable de rĂ©sister aux oukases de lâadministration et Ă la foule des groupes de pression nationaux, lâopposition est probablement mieux placĂ©e que la majoritĂ© au pouvoir pour explorer dâautres voies, tester ici ou lĂ une nouvelle sociĂ©tĂ©. La gauche sous Sarkozy nâa pas su en profiter.
TIROIR : Structures administratives
Auteur : Loeiz Laurent
La balle est chez les élus locaux
La France est malade. LâinquiĂ©tude financiĂšre et environnementale autant quâidentitaire sâaccompagne dâune perte de confiance croissante envers notre reprĂ©sentation nationale et de records dâabstention aux Ă©lections. Les Ă©lus nationaux sont perçus comme les porte-paroles dâune administration centrale elle aussi dĂ©considĂ©rĂ©e. Elle a pendant des lustres rĂ©digĂ© les projets de loi, les faisant voter par la majoritĂ© du moment. Certains ont pu se prononcer Ă contrecĆur, un Ćil sur le renouvellement de leur investiture aux prochaines Ă©lections... Bien quâassez peu dĂ©mocratique, une telle pratique aurait pu donner de bons rĂ©sultats si lâadministration Ă©tait imaginative, lucide, avisĂ©e ; mais avec lâeffacement du Plan et de la Datar, elle a perdu la moitiĂ© de son cerveau. A cela sâajoute lâattitude rĂ©gressive de multiples groupes de pression. Aucune vraie rĂ©forme ne peut naĂźtre dâen haut. La balle est chez les Ă©lus locaux. A eux dâinventer de nouvelles formes de vivre ensemble. Comme au Moyen Age avec la rĂ©forme communale, elles sâĂ©tendront ensuite, en cas de rĂ©ussite, Ă lâensemble du pays.
Une administration hémiplégique
Lâadministration française fut longtemps dotĂ©e de deux hĂ©misphĂšres cĂ©rĂ©braux. Aux administrations traditionnelles, Finances et IntĂ©rieur, sâopposaient des administrations de mission, le Plan et la Datar. PeuplĂ©s de juristes, les ministĂšres de lâIntĂ©rieur et des Finances formaient notre cerveau gauche, rigide, centralisateur, expert en rĂ©daction des textes. PeuplĂ©s dâĂ©conomistes et de gĂ©ographes, longtemps dirigĂ©s par de quasi ministres tels Pierre MassĂ© ou Olivier Guichard, le Plan et la Datar formaient notre cerveau droit, prospectif, imaginatif, ruant dans les brancards. « Vous ĂȘtes lĂ pour monter Ă lâassaut des administrations traditionnelles » dĂ©clarait JĂ©rĂŽme Monod Ă ses cadres en prenant en octobre 1968 la direction de la Datar. Aujourd'hui la France nâa plus de cerveau droit. Les Français ne sont plus invitĂ©s Ă imaginer leur avenir Ă lâoccasion des diffĂ©rents plans. Ils sont seulement censĂ©s avoir approuvĂ© en bloc les multiples mesures lancĂ©es en lâair Ă lâoccasion des Ă©lections prĂ©sidentielles.
Juristes et Ă©conomistes ou gĂ©ographes se sont longtemps affrontĂ©es dans les bureaux parisiens, tantĂŽt Ă©crasant lâadversaire, tantĂŽt composant. Ainsi les 21 rĂ©gions créées en 1956 sont nĂ©es dâun compromis entre un courant Ă©conomique qui en voulait dix, centrĂ©es sur des mĂ©tropoles Ă©quilibrant Paris, et un courant administratif qui en voulait 47, gros dĂ©partements sauvegardant la suprĂ©matie de la capitale (projet DebrĂ© 1945). Ainsi encore, en 1964, lorsque le Plan aidĂ© des administrations rĂ©gionales dessine en France 202 bassins dâĂ©quipement collectifs destinĂ©s Ă rationaliser la rĂ©partition gĂ©ographique des dĂ©penses de lâĂtat, il faut promettre au ministĂšre de lâIntĂ©rieur quâil ne sâagit pas de futurs dĂ©partements et les baptiser pudiquement Zones dâĂ©tudes dĂ©mographiques et dâemploi. Ainsi encore, en 1995, lors de la prĂ©paration de la loi Pasqua, quand pour la Datar « le pays exprime les solidaritĂ©s rĂ©ciproques entre la ville et lâespace rural », nos lĂ©gistes vont glisser discrĂštement un « le cas Ă©chĂ©ant » dans le texte, ainsi vidĂ© de sa substance. Les prises de position sur les pays de Jean-Louis Guigou indisposent le ministĂšre de lâIntĂ©rieur. DĂ©lĂ©guĂ© Ă lâamĂ©nagement du territoire, il se voit refuser le droit de sâexprimer sur sa gouvernance rĂ©gionale et locale. Ainsi encore, en 1999, Dominique Voynet ayant dĂ» rĂ©viser la loi Pasqua, ce mĂȘme ministĂšre la force Ă ĂŽter de son texte toute allusion Ă lâarrondissement. « Si, dans une Ă©tape ultĂ©rieure, on choisissait de reconnaĂźtre encore davantage les pays, cela devrait faire lâobjet dâun nouveau dĂ©bat devant le Parlement » dĂ©clare, amĂšre, la ministre. BientĂŽt le cerveau gauche en aura fini avec le cerveau droit. Le Plan disparaĂźt, devenu Commissariat gĂ©nĂ©ral Ă la stratĂ©gie et Ă la prospective. La Datar de son cĂŽtĂ© devient DĂ©lĂ©gation interministĂ©rielle Ă l'amĂ©nagement et Ă la compĂ©titivitĂ© des territoires. Plus personne ne connaĂźt les noms des responsables de ses organismes. En 2014, la Datar ayant retrouvĂ© son nom risque de le perdre Ă nouveau. On parle dâun Commissariat gĂ©nĂ©ral Ă lâĂ©galitĂ© des territoires. ĂgalitĂ© bien sĂ»r, et non diversitĂ©âŠ
Les lĂ©gistes avancent masquĂ©s. « Exprimer clairement oĂč tout cela menait aurait Ă©tĂ© le meilleur moyen de tout bloquer » affirmait en 1998 dans La France redĂ©coupĂ©e Dominique Perben Ă propos de la loi de 1992 sur lâintercommunalitĂ©. Sa gĂ©nĂ©ralisation aujourd'hui acquise permettra dâĂ©liminer les communes. Mais il ne faut pas le dire. Ancien ministre de la Fonction publique, de la RĂ©forme de lâĂtat et de la DĂ©centralisation, en charge de la rĂ©forme au sein de lâUMP, Dominique Perben savait ce dont il parlait.
Adroitement, les lĂ©gistes sâemploient Ă vider de leur sens au lieu de les contrer les mots de leurs adversaires : libre administration des collectivitĂ©s locales, dĂ©centralisation, rĂ©gionalisation, dĂ©mocratie locale, participation des citoyens, droit dâexpĂ©rimentation des collectivitĂ©s territoriales, autonomie fiscale ou budgĂ©taire ont reçu systĂ©matiquement le mĂȘme traitement. Chaban-Delmas parle-t-il de signer des contrats de plan avec les villes, une note du directeur du budget au ministĂšre des Finances Ă©voque la « lubie du premier ministre ». Le mot sera « repris », ajoute-t-il, mais « vidĂ© de son contenu ». Il en va de mĂȘme aujourd'hui avec le mot mĂ©tropole. Celles-ci ne sauraient rompre lâhĂ©gĂ©monie parisienne, animer de vastes rĂ©gions et hĂ©riter de responsabilitĂ©s aujourd'hui exercĂ©es dans les ministĂšres. On leur offrira des compĂ©tences dâintĂ©rĂȘt local jusque lĂ abusivement exercĂ©es par les rĂ©gions et les dĂ©partements et lâon renforcera leur tutelle sur les communes regroupĂ©es. Cela les occupera et elles laisseront Paris tranquille pendant ce temps lĂ .
Le mot pays fut naturellement victime du mĂȘme traitement. Tout fut fait pour Ă©loigner les pays des arrondissements et les rapprocher du canton. En 1995, la circulaire sur les pays sortira avec deux mois de retard et sans la signature du secrĂ©taire dâĂtat aux collectivitĂ©s locales car il aurait fallu, pour la Direction gĂ©nĂ©rale des collectivitĂ©s locales, y noter quâun pays pouvait recouvrir « un canton ». Bien que rĂ©sultant dâun compromis, lâexpression « plusieurs cantons » finalement retenue ne suffisait pas⊠Cette mĂȘme annĂ©e 1995, une mission russe vint interroger un laboratoire universitaire rennais sur notre administration territoriale. Ils avaient tout Ă reconstruire. Le Plan nâĂ©tait chez eux quâun corset. Lâadministration Ă©tait aux mains dâun parti unique. Le cerveau gauche avait rĂ©duit Ă nĂ©ant le cerveau droit. Ils tombĂšrent de haut en nous Ă©coutant : « Ce que vous nous dĂ©crivez, dĂ©clarĂšrent-ils abasourdis, câest exactement le systĂšme que nous souhaitons abandonner. »
En France une idĂ©ologie unique domine les ministĂšres des Finances et de lâIntĂ©rieur. Les prĂ©fets et sous-prĂ©fets y Ă©chappent, mais on les fait bouger pour Ă©viter quâils sâenracinent. Au Moyen-Ăąge les prĂ©vĂŽts du roi nâavaient pas le droit dâĂ©pouser des filles du pays quâils devaient administrer. Et sâil nây avait que la haute administration pour corseter la nation, mais de multiples groupes syndicaux ou associations dâĂ©lus dĂ©partementaux et locaux Ćuvrent pour que rien ne change. Il nous faudra bien un jour essayer autre chose, et cela ne peut venir de lois venues dâen haut. Il faut accepter que pour un temps la loi ne soit pas la mĂȘme pour tous. Il faut expĂ©rimenter. La balle est dans le camp des Ă©lus locauxâŠ
Il faut expérimenter
« Sur terre lâhomme est entrĂ© sans bruit » nous dit Teilhard de Chardin. Il en va de mĂȘme des vraies rĂ©volutions. Quelques gamins dĂ©tournent en jouant le chant de leurs parents pour coder leurs pensĂ©es et voilĂ le langage. Un chasseur-cueilleur se saisit dâun bĂąton pour enfouir une graine et voilĂ lâagriculture. Un jeune homme prĂȘche en GalilĂ©e le Royaume des cieux et voilĂ le Christianisme. Des artisans et des commerçants sâagitent ici ou lĂ aux cris de « Commune ! Commune ! » et voilĂ la dĂ©mocratie locale et la fin du monde fĂ©odal.
Voici cinquante ans quâen France, avec lâĂ©mergence des pouvoirs rĂ©gionaux et dâagglomĂ©ration, apparaĂźt nĂ©cessaire la simplification de notre millefeuille administratif. On ne peut se contenter de supprimer un Ă©chelon car tous sont mal dessinĂ©s. Il faut expĂ©rimenter autre chose.
Il faut pour cela un espace pertinent. Michel Rocard aux premiers Etats GĂ©nĂ©raux des Pays Ă MĂącon en juin 1982 voyait dans les pays « un champ privilĂ©giĂ© d'expĂ©rimentation de nouvelles pratiques dĂ©mocratiques de participation, un espace pour l'expression de nouvelles solidaritĂ©s ». Associant les villes et les campagnes, lâhabitat et lâemploi, les services et les lieux de loisir, espaces cohĂ©rents, vĂ©ritables unitĂ©s dâamĂ©nagement et de dĂ©veloppement, les pays ont notre avenir en leurs mains. Tel Ă©tait le projet du CĂ©lib en Bretagne en 1971 et telle Ă©tait encore Ă Rennes le 4 novembre 2002 lâopinion des 1200 personnalitĂ©s bretonnes rassemblĂ©es aux assises rĂ©gionales des libertĂ©s locales. Aux questions posĂ©es sur la multiplicitĂ© des Ă©chelons, 30% dâentre elles Ă©voquaient la disparition du dĂ©partement, aucune la rĂ©gion, 8% seulement le pays, des pays malheureusement Ă©miettĂ©s en intercommunalitĂ©s, des intercommunalitĂ©s trop grosses pour les relations fraternelles et trop petites pour la cohĂ©rence territoriale.
Les pays sont bien le plus petit espace oĂč les reprĂ©sentants dâune population peuvent de façon transparente, lisible et judicieuse rĂ©pondre aux besoins dâune population. Culture, Ă©ducation, santĂ©, logement, routes, transport, lâessentiel de la dĂ©pense publique peut ĂȘtre arbitrĂ© Ă ce niveau dans le respect Ă©ventuel de normes imposĂ©es par les niveaux supĂ©rieurs.
La fusion dĂ©partement-commune rĂ©alisĂ©e en 1975 Ă Paris fut une premiĂšre expĂ©rience intĂ©ressante. Avec ses singuliĂšres primes dĂ©partementales pour le personnel communal, elle nâa cependant pas rĂ©solu la question du pouvoir dâagglomĂ©ration pour la capitale. On parle dây fusionner les communautĂ©s dâagglomĂ©ration existantes, voir les dĂ©partements de la petite couronne.
Une fusion dĂ©partement-agglomĂ©ration est en cours Ă Lyon. LâagglomĂ©ration rĂ©cupĂšre des compĂ©tences dĂ©partementales, ce quâautorisait dĂ©jĂ une loi de 1992 expĂ©rimentĂ©e Ă Strasbourg, alors que cela aurait pu ĂȘtre lâinverse, le dĂ©partement faisant office dâagglomĂ©ration.
Ces deux rĂ©alisations sont intĂ©ressantes, mais le souci dâorganiser les mĂ©tropoles ne doit pas faire oublier le reste de la nation. La fusion dĂ©partement-agglomĂ©ration doit pouvoir ĂȘtre expĂ©rimentĂ©e sur dâhumbles territoires. On Ă©vitera pour cela les prĂ©fectures sauf Ă en choisir une animant tout son dĂ©partement comme Belfort. La structure obtenue devra ĂȘtre supra-communale, Ă lâinstar des actuels dĂ©partements, et non intercommunale, Ă lâinstar des communautĂ©s. Elle devra laisser une trĂšs large autonomie aux communes, fussent-elles refondues dans le cadre des schĂ©mas locaux de cohĂ©rence territoriale. LâexpĂ©rience peut concerner un arrondissement animĂ© par une ville petite ou moyenne ayant statut de sous-prĂ©fecture, telle Morlaix ou ChĂąteaubriant. Elle peut aussi toucher un « pays » Ă©cartelĂ© entre plusieurs dĂ©partements tel le Poher avec Carhaix, Gourin et Rostrenen, le pays de Redon, le Centre Bretagne avec Pontivy, LoudĂ©ac et peut-ĂȘtre PloĂ«rmel ou les pays de Rance avec Dinan, Dinard et Saint-Malo.
LâexpĂ©rience peut apparaĂźtre de façon quelque peu subversive. Commissaire Ă la rĂ©novation rurale en Bretagne de 1967 Ă 1974, Jacques Ferret voyait sây engager le maire de la ville centre avec lâappui de ses collĂšgues : « Il a sa lĂ©gitimitĂ© rĂ©publicaine, ses troupes, ses moyens dâimpression et de pression, la grĂšve de certaines Ă©lections. » DramatisĂ©e Ă plaisir, une telle formule saura plaire aux Français, toujours heureux sâils peuvent prendre le parti de David contre Goliath. Une graine dâespĂ©rance.
LâexpĂ©rience peut Ă©galement naĂźtre dâune invite prĂ©sidentielle ou gouvernementale : « Cherche territoire disposĂ© Ă expĂ©rimenter une totale dĂ©concentration des choix budgĂ©taires sur la base de 80% des crĂ©dits actuellement consacrĂ©s par la nation, le dĂ©partement et la rĂ©gion au service des populations ? » Il y aura des candidats.
Le changement sera profond. Ce pourra ĂȘtre au territoire expĂ©rimental de payer les journĂ©es de prison de ses dĂ©linquants ou les bourses dâenseignement supĂ©rieur de ses Ă©tudiants pour des Ă©tablissements Ă©ventuellement Ă©loignĂ©s. Ce sera aussi Ă lui de remplacer les radars incendiĂ©s. Bien des comportements seront modifiĂ©s⊠« Que les sous-prĂ©fets reçoivent une enveloppe globale de tous les crĂ©dits dâĂtat â sauf les fonctions rĂ©galiennes â et mettent les Ă©lus en situation d'arbitrer et non pas de quĂ©mander » Ă©crivait en 1995 Jean-Louis Guigou, dĂ©lĂ©guĂ© Ă lâamĂ©nagement du territoire, dans Une ambition pour le territoire. Il se trouve que câĂ©tait page sang neuf.
Libre administration, dĂ©mocratie de proximitĂ©, lisibilitĂ© des institutions seront au rendez-vous. La dĂ©moralisation de nombreux Français tient pour une part Ă un besoin déçu dâincarnation de leurs idĂ©aux. Ils ont pu croire en lâURSS, en Cuba, en lâAlbanie, en la Yougoslavie, en la Chine ou au Chili. Nos jeunes djihadistes croient en la Syrie. Cela sâest dĂ©gonflĂ© Ă chaque fois. Tous apprĂ©cieront une expĂ©rimentation plus proche, plus humble, plus consensuelle et moins dogmatique.
Un inspecteur des finances ayant statut de prĂ©fet devra assurer lâexĂ©cutif du nouveau territoire. Cela rassurera les administrations centrales invitĂ©es Ă de lourds abandons de souverainetĂ© et limitera les risques de clientĂ©lisme.
Michel Crozier et Pierre Bourdieu ont insistĂ© sur lâutilitĂ© de crises ponctuelles pour dĂ©clencher les rĂ©formes. Lâautonomie vĂ©cue Ă lâĂ©chelle dâun pays ne sera pas seulement dâintĂ©rĂȘt local ; elle fera rĂȘver les Français. Ne comptons pas pour cela sur un hypothĂ©tique grand projet national. Offrons leur de vibrer, comme au théùtre, aux aventures dâune communautĂ© dâirrĂ©ductibles cherchant Ă vivre ensemble, en Bretagne ou ailleurs, dans un espace pertinent, plus libres, plus Ă©gaux, plus frĂšres. Ce sera contagieux.
Pays : quelques citations donnant Ă rĂȘver
« Il faut que les provinces, les villes puissent agir avec une certaine indépendance, véritables démocraties au milieu de la monarchie. » D'Argenson, Considérations sur le gouvernement de la France, p. 22-23
« Il n'est pas de rĂ©forme rĂ©gionale qui ne soit accompagnĂ©e nĂ©cessairement d'une rĂ©organisation communale, d'une rĂ©forme financiĂšre et d'une remise en cause du dĂ©partement. [...] Son effacement doit ĂȘtre l'aboutissement d'une longue Ă©volution au cours de laquelle certaines de ses fonctions seront dĂ©concentrĂ©es au profit de l'arrondissement et d'autres au profit de la rĂ©gion. » Edgard Pisani, La rĂ©gion... pour quoi faire ? ou le triomphe des Jacondins, 1969
« Vivre, travailler et décider au pays. » Tract diffusé par le parti communiste dans les années 70
« Je vois mal une coexistence harmonieuse entre la rĂ©gion et le dĂ©partement. [...] Je reconnais qu'il faudra, pendant toute une pĂ©riode, maintenir le dĂ©partement⊠Ensuite, il devrait ĂȘtre possible de maintenir une animation suffisante grĂące aux sous-prĂ©fectures convenablement rĂ©amĂ©nagĂ©es. » Jacques Delors, Changer, Stock, 1975
« Tant que ne sera pas fixée l'unité territoriale optima permettant à une population à la fois relativement homogÚne et suffisamment différenciée de se gouverner et de s'administrer en connaissance de cause, ce pays, que son régime soit libéral ou collectiviste, subira plus ou moins consciemment un totalitarisme de fait. » Pierre Emmanuel, académicien, La révolution parallÚle, 1975
« Oui, notre société est bloquée, et pour la débloquer, il faut choisir des solutions révolutionnaires et non-conformistes. [...] Le « pays » est la notion la plus innovatrice de votre projet de loi. Plus encore, c'est une notion subversive au sens noble du terme car elle provoquera la transformation de tout notre paysage administratif et politique. » Charles Millon le 12 juillet 1994 lors de la discussion du projet de loi Pasqua
« Ayons le courage de dire que ces pays seront un formidable point dâappui Ă la rationalisation et Ă la restructuration, ultĂ©rieures bien sĂ»r, de toutes nos administrations locales. Les pays les plus audacieux, qui sauront faire preuve de volontĂ© politique, rassembler et fĂ©dĂ©rer leur population au-delĂ des querelles intestines, restructureront Ă terme leur rĂ©seau de services publics. Et ils offriront aux communes rurales devenues la proie dâun certain clientĂ©lisme dĂ©partemental, aprĂšs avoir Ă©tĂ© sous la tutelle pesante de lâĂtat, un espace dâorganisation de lâavenir. On peut espĂ©rer que les pays deviennent enfin un lieu dâanalyse globale et de dĂ©bat sur lâutilisation de lâargent public distribuĂ© sur les territoires. Car le dĂ©bat nâexiste pas, si ce nâest de façon fragmentaire et Ă lâintĂ©rieur des conseils municipaux ou, de façon plus globale, Ă un Ă©chelon qui nâexerce pas lui-mĂȘme lâensemble des compĂ©tences sur lâaction et la vie publique. [...] Certes, le suffrage universel eĂ»t mieux convenu. Mais câeĂ»t Ă©tĂ© brĂ»ler les Ă©tapes. Appuyons donc les pays sur la population et faisons en sorte quâils soient reconnus, et si possible aimĂ©s comme objets identitaires. Ce texte offre des garanties dĂ©mocratiques [...], dâabord par lâobligation de mettre tout le monde dâaccord, lâĂtat, les communes, les groupements de communes ; ensuite par le contrĂŽle permanent du conseil de dĂ©veloppement, structure consultative des forces sociales ; enfin par la souplesse contractuelle que le syndicat mixte ou le groupement dâintĂ©rĂȘt public â ce sont les amendements de la commission â ont offerte Ă tous leurs partenaires. Jây vois une armature pour une pratique dĂ©mocratique dont lâĂtat devra rester le garant. Madame la ministre, nous pouvons espĂ©rer que vous et votre administration chargĂ©e de mettre en Ćuvre ce texte veilleront Ă ce que la naissance des pays qui sâorganise ne se transforme pas en un instrument â un de plus ! â de distribution de lâargent public mais reste bien un espace dĂ©mocratique â câest lĂ une de mes obsessions, et je ne suis pas le seul â de dĂ©veloppement. Sans dĂ©mocratie, pas de dĂ©veloppement ! Câest une loi universelle. Si nous rĂ©ussissons le pari de faire vivre ces pays en les enracinant dans le terrain, dans quelques annĂ©es, peut-ĂȘtre, une autre gĂ©nĂ©ration de parlementaires enregistrera les consĂ©quences de ce choix et dĂ©cidera la disparition de structures dâadministration locales devenues inutiles, archaĂŻques, coĂ»teuses, souvent antidĂ©mocratiques et Ă©voluant hors du contrĂŽle de la population... je veux bien sĂ»r parler des conseils gĂ©nĂ©raux. (Sourires.) » Arnaud Montebourg le 2 fĂ©vrier 1999 lors de la discussion du projet de loi Voynet
« Si je devais formuler un seul vĆu concernant le rĂŽle administratif du pays, ce serait que celui-ci devienne l'espace de la simplification et de la lisibilitĂ© de nos politiques. » Pierre MĂ©haignerie, Pouvoirs locaux n°26, septembre 1995
« Dans ce domaine, notre libertĂ© dâaction est totale. LâEurope ne nous contraint dâaucune sorte. Il est prioritaire de nous donner les moyens de plus de proximitĂ©, de plus dâefficacitĂ©, de plus de cohĂ©rence, Câest un immense chantier que celui de la reconstruction dâespaces de solidaritĂ© et de dĂ©mocratie, de plus de justice dans lâaction publique. Encore devons-nous avoir le courage, pour y parvenir, de heurter des situations acquises. Il sâagit de rĂ©aliser une rĂ©organisation territoriale autour de trois niveaux dĂ©cisionnels : la commune ou le quartier, lâagglomĂ©ration ou le bassin de vie, la rĂ©gion, en liaison avec lâĂtat. Bien sĂ»r, il faudra tirer les consĂ©quences de ces orientations pour le dĂ©partement. » Martine Aubry, Il est grand temps, Albin Michel, 1997
« LâaccĂ©lĂ©ration de la construction europĂ©enne va rendre nĂ©cessaire une rĂ©volution fondamentale. [...] Il faut retrouver une dĂ©finition plus moderne, plus flexible de lâorganisation du territoire, qui fasse de la rĂ©gion et du pays des moteurs de la vie dĂ©mocratique, qui leur donne une autonomie politique face Ă la nation et Ă lâEurope. Câest un des enjeux des dix prochaines annĂ©es. Aujourdâhui, lâidĂ©e dâune « ligne » unique qui puisse rĂ©pondre Ă tous les besoins de lâhexagone est battue en brĂšche. Il y a dĂ©jĂ dix ans, Michel Rocard avait dit quâil fallait rendre possible une diversitĂ© dâexpĂ©riences. Cette diversitĂ©, cette concurrence serait une source dâimagination sociale et politique. » Daniel Cohn-Bendit, Une envie de politique, La dĂ©couverte - Le Monde, 1998
« Je pense depuis longtemps que le dĂ©partement a fait son temps et quâil nâa plus de sens⊠Il faut envisager sa suppression dans des dĂ©lais convenables⊠Mais personne nâa pu y toucher depuis trĂšs longtemps. Câest un peu un scandale. » Michel Rocard, France Culture, 18 mars 2001
« Ni Chirac ni Jospin nâont dessinĂ© un horizon Ă notre sociĂ©té⊠[RecrĂ©er du lien social], cela veut dire bĂątir une sociĂ©tĂ© qui se rĂ©enracine dans le territoire, par la citoyennetĂ© de proximitĂ©. Il faut redĂ©finir le territoire du politique Ă lâĂ©chelle de la vie des gens. Câest Ă ce niveau lĂ quâils peuvent discuter concrĂštement de leurs problĂšmes. Savoir, par exemple, sâils prĂ©fĂšrent quâon amĂ©liore lâhĂŽpital ou quâon agrandisse le collĂšge. » Jean Viard, Ouest-France, 30 avril 2002
« Pour ma part, je raisonne autrement et sur deux sphĂšres : celle de la proximitĂ© dĂ©volue aux communes, Ă l'intercommunalitĂ© et aux dĂ©partements, et celle de l'amĂ©nagement du territoire et du dĂ©veloppement Ă©conomique qui revient aux rĂ©gions, Ă lâĂtat et Ă l'Europe. C'est pourquoi je propose que les Ă©lections municipales et dĂ©partementales aient lieu le mĂȘme jour, et que les rĂ©gionales et les europĂ©ennes soient aussi jumelĂ©es lors d'un autre scrutin. » AndrĂ© Vallini, Le DauphinĂ© LibĂ©rĂ©, 5 mars 2009 (A propos de la fusion dĂ©partement/rĂ©gion prĂŽnĂ©e par le comitĂ© Balladur auquel il appartient comme sĂ©nateur et prĂ©sident du conseil gĂ©nĂ©ral de lâIsĂšre)
« Le socle communal historique demeure, Ă condition de mieux le fĂ©dĂ©rer sur un maillage de proximitĂ©, [âŠ] 300 alvĂ©oles, issues des pays, des villes moyennes ou des districts qui ont fait le terreau culturel de la France, [âŠ] un maillage de proximitĂ© autour des sous-prĂ©fectures. » Jean-Christophe Fromantin, blog, janvier 2014
Les schémas de cohérence territoriale (Scot) au 1er janvier 2014
Ayant pris le relais des SchĂ©mas directeurs dâamĂ©nagement et dâurbanisme des annĂ©es 70, les schĂ©mas de cohĂ©rence territoriale ont pour objectif de maĂźtriser lâĂ©talement urbain, de prĂ©server lâespace agricole, dâĂ©quilibrer les activitĂ©s, de rationaliser les dĂ©placements sur un territoire afin dâen assurer le dĂ©veloppement durable.
Souvent qualifiĂ© de « pays », leur ressort ne parvient pas Ă couvrir les aires urbaines ou les bassins dâemploi les plus vastes dĂ©finis par lâInsee Ă partir des dĂ©placements domicile-travail. De lĂ des dĂ©marches inter-Scot autour de Rennes et de Nantes. La premiĂšre, initiĂ©e en 2005 par lâĂtat, couvre lâensemble de lâIlle-et-Vilaine autour de thĂšmes tels que lâhabitat, les dĂ©placements, la compĂ©titivitĂ© des territoires, lâeau et le traitement des dĂ©chets. La seconde, initiĂ©e par le prĂ©sident du Scot de la mĂ©tropole Nantes-Saint-Nazaire, est en cours de maturation. Cette dĂ©marche laisse pour le moment de cĂŽtĂ© la communautĂ© de communes de Nozay.
Si lâintercommunalitĂ© sâest parfois essayĂ©e Ă Ă©pouser les contours des Scot, elle a pu conduire Ă lâinverse Ă modifier ici ou lĂ les pĂ©rimĂštres de ces derniers.
LâintercommunalitĂ© au 1er janvier 2014
Les lois votĂ©es en 1992, 1999 et 2004 relatives Ă lâintercommunalitĂ© Ă©tant loin dâavoir donnĂ© des rĂ©sultats totalement satisfaisants aux yeux de la Direction GĂ©nĂ©rale des CollectivitĂ©s Locales au ministĂšre de lâIntĂ©rieur, la loi du 16 dĂ©cembre 2010 portant rĂ©forme des collectivitĂ©s territoriales est venue les complĂ©ter sur quatre points : refus des communes isolĂ©es sauf Ă Paris et dans les dĂ©partements limitrophes, population minimale de 5 000 habitants sauf dĂ©rogation prĂ©fectorale notamment en zone de montagne, rĂŽle moteur des prĂ©fets auprĂšs des Commissions DĂ©partementales de CoopĂ©ration Intercommunale, amĂ©lioration de la « cohĂ©rence au regard notamment du pĂ©rimĂštre des unitĂ©s urbaines au sens de l'Institut national de la statistique et des Ă©tudes Ă©conomiques, des bassins de vie et des schĂ©mas de cohĂ©rence territoriale. » (Article 35)
Les bassins nâont pas dâexistence officielle. LâInsee en propose une version excluant lâemploi et fondĂ©e sur la prĂ©sence de services plus ou moins rĂ©pandus tels que police-gendarmerie, supermarchĂ©, librairie, collĂšge, laboratoire dâanalyses mĂ©dicales, ambulance ou bassin de natation. En 2012 la France mĂ©tropolitaine compterait ainsi 1 644 bassins de vie dont 164 dans les cinq dĂ©partements bretons. Les bassins bretons sont proches des cantons ruraux. Une commune isolĂ©e peut constituer Ă elle seule un bassin pour peu quâelle soit bien Ă©quipĂ©e et nâattire pas ses voisines, cas dâArradon prĂšs de Vannes. Les bassins de vie comptent pour la plupart plus de 5 000 habitants.
Dâautres dĂ©finitions des bassins de vie existent. Prenant en compte les dĂ©placements vers les lieux de travail, et vers les collĂšges et lycĂ©es en Ille-et-Vilaine, les agences dâurbanisme de Nantes et de Rennes ont dessinĂ©s en 2008 et 2010 des bassins de vie nettement plus vastes que ceux de lâInsee. Celui de Nantes compterait 120 communes sur trois dĂ©partements et 840 000 habitants. Sâajouteraient en Loire-Atlantique Saint-Nazaire, trois communautĂ©s littorales et quatre territoires centrĂ©s sur ChĂąteaubriant, Ancenis, Machecoul et Redon. LâIlle-et-Vilaine compterait de son cĂŽtĂ© dix bassins de vie, les uns centrĂ©s sur Rennes, Saint-Malo, FougĂšres, VitrĂ© et Redon, les cinq autres associant plusieurs pĂŽles secondaires dans la pĂ©riphĂ©rie rennaise.
Contrairement aux bassins de vie, les schémas de cohérence territoriale sont bien définis. La plupart regroupent plusieurs communautés sous forme de syndicat mixte.
Jugeant satisfaisant le dĂ©coupage issu des lois prĂ©cĂ©dentes, le prĂ©fet du FinistĂšre nâa pas demandĂ© de modification de la carte intercommunale. Les Ăźles dâOuessant et Sein, dispensĂ©es dâimpĂŽts locaux, resteront ainsi isolĂ©es. Les communautĂ©s Monts-dâArrĂ©e et Yeun Elez, bien que nâatteignant pas le seuil requis de 5 000 habitants, seront maintenues, leur fonctionnement Ă©tant jugĂ© cohĂ©rent.
Sans succĂšs en Loire-Atlantique, les autres prĂ©fets ont cherchĂ© Ă fusionner les intercommunalitĂ©s incluses dans un mĂȘme bassin de vie ou un mĂȘme schĂ©ma de cohĂ©rence territoriale. Le succĂšs a Ă©tĂ© inĂ©gal. Bien des communautĂ©s prĂ©fĂ©rĂ© le maintien dâune coopĂ©ration conviviale entre communes voisines Ă lâintĂ©gration dans un ensemble pouvant dĂ©passer les cinquante communes et les cent mille habitants. Les assemblĂ©es communautaires dans ces grands ensembles ne sont que des chambres dâenregistrement. Le pouvoir Ă©chappe aux « petits » maires au profit des bureaux.
La carte obtenue au 1er janvier 2014 nâest pas dĂ©finitive. Proches des seuils requis â 50 000 habitants dont 15 000 dans la commune centre â les communautĂ©s de communes de Dinan, Lannion, FougĂšres, Redon ou Pontivy ambitionnent dâaccĂ©der un jour, fut-ce par quelques modifications, au statut financiĂšrement privilĂ©giĂ© de communautĂ© dâagglomĂ©ration. Dâun autre cĂŽtĂ©, faute de pouvoir sâentendre sur des rĂšgles communes en matiĂšre de fiscalitĂ©, les communautĂ©s actuellement rĂ©unies de Saint-MĂ©en et Montauban en Ille-et-Vilaine pourraient bien divorcer.
Les Ă©quipements collectifs, Ă commencer par les routes, les transports publics, le logement social ou les Ă©tablissements dâenseignement concernent pour la plupart les villes et les campagnes. Or, mĂȘme agrandie, lâintercommunalitĂ© les dissocie, obligeant Ă centraliser au dĂ©partement ou Ă la rĂ©gion (lycĂ©es) bien des dĂ©cisions concernant les populations locales.
La loi de 2010 aura reprĂ©sentĂ© un dernier effort pour constituer par la voie de lâintercommunalitĂ© des territoires aptes Ă mener de vraies politiques dâamĂ©nagement et de dĂ©veloppement. Une telle ambition est vaine. La multiplicitĂ© des communes, bien que moins forte en Bretagne quâailleurs, lâinterdit. Le souhait de coopĂ©rer fraternellement entre communes voisines Ă©galement. Comme le montre la carte ci-dessous, si 40 communautĂ©s de communes ou dâagglomĂ©ration associent plusieurs chefs-lieux bien distincts, 77 communautĂ©s recouvrent des cantons plus ou moins remodelĂ©s, les cantons agglomĂ©rĂ©s Ă Quimper, Brest, Saint-Brieuc et Saint-Nazaire comptant ici pour une unitĂ©, et 7 communautĂ©s de communes ne comportent aucun chef-lieu de canton, les Ăźles dâOuessant (Ă©galement canton) et Sein restant communes isolĂ©es.
Deux stratĂ©gies opposĂ©es ont pu jouer. Aux confins des dĂ©partements, des villes petites ou moyennes, souvent sous-prĂ©fectures ou anciennes sous-prĂ©fectures, ont enrĂŽlĂ© les cantons voisins afin de peser au sein du dĂ©partement face Ă son chef-lieu. Elles ambitionnaient aussi parfois dâatteindre les 50 000 habitants donnant accĂšs au statut privilĂ©giĂ© de communautĂ© dâagglomĂ©ration, les 5000 habitants dans la ville-centre Ă©tant acquis par ailleurs. Lâannexion de deux communes costarmoricaines a presque permis Ă Pontivy-CommunautĂ© dây arriver avec 49 500 habitants. A lâopposĂ©, Ă proximitĂ© de Nantes, Rennes ou autres villes importantes, des cantons ont refusĂ© toute intĂ©gration et tenu Ă garder leur autonomie. Garder un mode de fonctionnement convivial, profiter de la proximitĂ© de la ville sans en supporter les coĂ»ts, disposer de cars dĂ©partementaux directs car nâayant pas le droit de sâarrĂȘter sur le territoire de lâagglomĂ©ration centrale. Les assemblĂ©es communautaires au-delĂ dâune douzaine de communes tendent Ă devenir de simples chambres dâenregistrement, les Ă©lus ayant lâimpression de perdre le pouvoir au profit des bureaux. Avec 29 communautĂ©s de communes, contre 19 en Loire-Atlantique et Morbihan, les CĂŽtes dâArmor payent la rançon de leur prospĂ©ritĂ© passĂ©e. DĂ©partement breton le plus peuplĂ© Ă la RĂ©volution, câest lui qui compte aujourd'hui le plus grand nombre de communes, cela venant limiter lâampleur des communautĂ©s.
On ne rassemblera pas les communes autour de vrais pĂŽles dâamĂ©nagement et de dĂ©veloppement par la voie de lâintercommunalitĂ©. Il faut sâattaquer aux dĂ©partements, leur substituer de petits territoires ayant la dimension de nos arrondissements. Aptes Ă cumuler les fonctions actuelles des dĂ©partements et des agglomĂ©rations, comme le tentent aujourd'hui hardiment les 59 communes de la mĂ©tropole lyonnaise, de telles entitĂ©s permettront de laisser Ă lâintercommunalitĂ© sa fonction conviviale dâentraide entre communes voisines sous le seul regard de la nouvelle institution.
Diversité des communes françaises
Caillou dans la chaussure du futur Commissaire GĂ©nĂ©ral Ă lâĂgalitĂ© des territoires, lâinfinie diversitĂ© du tissu communal en France Ă©clate dans cet extrait du chapitre 7 de Petits dĂ©partements et grandes rĂ©gions, ProximitĂ© et stratĂ©gies(Loeiz Laurent, LâHarmattan, 2011). Les quatre cartes prĂ©sentĂ©es sont particuliĂšrement Ă©loquentes. Les deux premiĂšres ont trait aux communes, les deux autres aux petits bassins de service mis en Ă©vidence Ă Rennes par la mission nationale dâĂ©tude des solidaritĂ©s territoriales en 1990.
Grandes et petites communes en 1968
Les deux premiĂšres cartes, tirĂ©es du petit livre rouge publiĂ© par la Datar en mai 1968, nous montrent une situation qui a peu Ă©voluĂ© depuis. Elles rendent compte de lâextrĂȘme diversitĂ© du tissu communal français, rĂ©sultat de vingt siĂšcles dâhistoire. La densitĂ© des communes reflĂšte souvent lâimportance dâun peuplement disparu, la prospĂ©ritĂ© dâhier devenant handicap aujourd'hui. Ainsi la Loire-Atlantique, le moins peuplĂ© des cinq dĂ©partements bretons en 1791, compte aujourd'hui 221 communes bien vivantes quand, les CĂŽtes-dâArmor, alors le plus peuplĂ© des cinq, en compte 373 aujourd'hui souvent assoupies. Ces deux cartes laissent Ă©galement deviner le semis primitif des villages, reflet de la fertilitĂ© des terres et de la densitĂ© des sources. LĂ oĂč les terres Ă©taient riches et lâeau rare, de gros villages sont apparus, petites paroisses Ă©rigĂ©es en communes Ă la RĂ©volution. LĂ oĂč les terres Ă©taient pauvres et lâeau omniprĂ©sente, de vastes paroisses pouvant regrouper 50 Ă 200 villages ou hameaux dispersĂ©s sont devenues de vastes communes.
Les petits bassins de services
LâInsee a menĂ© en 1988 une enquĂȘte auprĂšs des communes sur la prĂ©sence ou le lieu dâobtention de quelque 62 services relativement rĂ©pandus : boulangerie, cafĂ©, mĂ©decin, salon de coiffure, maçon, poste dâessence, collĂšge, supermarchĂ©, perception, bureau de poste, vĂ©tĂ©rinaire, etc. Peu de services proprement urbains ont Ă©tĂ© retenus. Deux cartes nationales ont Ă©tĂ© tirĂ©es Ă Rennes des donnĂ©es ainsi recueillies.
La premiĂšre carte met en Ă©vidence 9 000 petits territoires qualifiables dâautosuffisants du fait des services trouvĂ©s sur place. Comme pour les bassins dâemploi, lâon a cherchĂ© Ă mettre en Ă©vidence un nombre maximum de zones cohĂ©rentes. Des milliers de communes font ici montre dâindĂ©pendance ; le nombre de services trouvĂ©s sur place y est Ă©gal ou supĂ©rieur Ă celui menant Ă frĂ©quenter un autre petit territoire et ces communes nâen attirent pas dâautres.
Il conviendrait, pour faire ressortir la richesse de cette carte, de la dĂ©cliner de multiples façons : degrĂ© de polarisation des bassins (ceux limitĂ©s Ă une commune Ă©tant considĂ©rĂ©s par dĂ©finition comme polarisĂ©s), prĂ©sence dâun ou de plusieurs chefs-lieux de canton ou dâarrondissement, nombre de communes rassemblĂ©es. Bien des petits bassins de service autosuffisants sont cantonaux ou mĂȘme pluri-cantonaux. Lâon se contentera ici de noter, par comparaison avec les deux cartes prĂ©cĂ©dentes, le nombre particuliĂšrement important de communes autosuffisantes dans les Flandres, en Alsace, en banlieue parisienne, dans le sillon rhodanien, en Bretagne ou dans les Pays de la Loire. LâintercommunalitĂ© dans ces rĂ©gions nâest pas vĂ©cue comme une menace, prĂ©lude Ă la crĂ©ation dâune « grande commune », mais comme lâexpression dâun simple besoin de coopĂ©ration. Dâautres travaux menĂ©s Ă Rennes montrent que la taille optimale des communes autour des villes sâĂ©tale entre 500 et 5 000 habitants. Telle est effectivement la situation dans les rĂ©gions prĂ©citĂ©es.
BasĂ©e sur les mĂȘmes donnĂ©es concernant la frĂ©quentation de 62 services, la carte suivante dĂ©livre un tout autre message. Seules les entrĂ©es et les sorties de chaque commune ont Ă©tĂ© ici prises en compte, les services disponibles sur place Ă©tant ignorĂ©s. Les bassins obtenus Ă©tant ainsi nĂ©cessairement pluri-communaux, lâon passe de 9 000 Ă 2 198 petits bassins distincts, le plus souvent cantonaux ou pluri-cantonaux.
La carte de ces 2 198 petits bassins de services semble Ă premiĂšre vue plus homogĂšne que la prĂ©cĂ©dente ; mais cette homogĂ©nĂ©itĂ© disparaĂźt si lâon considĂšre en chacun dâeux la rĂ©partition de la population. Prenons en dĂ©but dâalphabet ceux de Buzancy, BagnĂšres-de-Luchon et Baud, tous trois centrĂ©s sur un chef-lieu de canton. Lâarchitecture diffĂ©rente de ces diffĂ©rents bassins saute aux yeux. Ceux de Buzancy et de BagnĂšres-de-Luchon sont dĂ©jĂ prĂ©sents dans le dĂ©coupage en 9 000 petits bassins de services autosuffisants, leurs centres Ă©tant pratiquement seuls Ă y proposer des services. Autre exemple pyrĂ©nĂ©en avec cette fois-ci deux chefs-lieux de canton, le bassin dâAxat. Ce chef-lieu de canton de 919 habitants en attire 1 534 autres rĂ©partis dans 24 communes dont un second chef-lieu de canton de 142 habitants. Ce bassin compte ainsi 2 chefs-lieux de canton, 25 communes et 2 453 habitants. Bien des communes rurales bretonnes dĂ©passent cette population. Leurs centres sont en effet pratiquement seuls Ă y proposer des services.
Le bassin de Baud par contre sây retrouve Ă©clatĂ© en trois petits bassins de services autosuffisants, Baud, Camors et Quistinic. Avec son « bourg » peuplĂ© en 1982 de 571 habitants et ses « villages » en totalisant 1 750, la commune de Camors a plus de poids Ă elle toute seule que le petit bassin lorrain de Buzancy avec ses 15 communes dont un chef-lieu de canton. Un peu moins peuplĂ©e, la commune de Quistinic nâest pas loin dâĂȘtre dans la mĂȘme situation.
On ne le rĂ©pĂ©tera jamais assez ; une telle diversitĂ© rend vaine toute prĂ©tention Ă dĂ©cider dâen haut des compĂ©tences respectives des communes et des intercommunalitĂ©s. Comme pour le remembrement, oĂč lâexistence du bocage a Ă©tĂ© ignorĂ©e, ou la loi littoral, oĂč lâon a oubliĂ© les zones dâhabitat dispersĂ©, toute lĂ©gislation nationale portant sur les compĂ©tences communales et intercommunales ne saurait ĂȘtre en bien des rĂ©gions que parfaitement inadaptĂ©e.
Des architectures communales radicalement diffĂ©rentesă: