Géographie de la Bretagne/Un littoral à protéger
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Un littoral à protéger (1994)
Auteur : Yves Lebahy
Les mutations récentes de la politique littorale : de la protection à la préservation (2014)
Auteur : Yves Lebahy
Si les annĂ©es 70/90 avaient orientĂ© leur action vers la protection du littoral pour rĂ©pondre aux atteintes qui le menaçaient, il en va tout autrement des annĂ©es 2000. Pressions accrues sur le littoral, problĂšmes et enjeux multipliĂ©s, Ă©volution des politiques ont conduit Ă une rĂ©flexion plus complexe qui sâest traduite en Bretagne par lâĂ©laboration de la « Charte des espaces cĂŽtiers bretons » de dĂ©cembre 2007 et sa mise en application en 2008. Toutefois de nombreuses questions restent en suspens
Un territoire sous pression :
PhĂ©nomĂšne amorcĂ© depuis les annĂ©es 60, le littoral de la rĂ©gion est lâobjet dâun intĂ©rĂȘt croissant notamment Ă partir des annĂ©es 1998/2000. A ces dates se conjuguent les effets dâun renforcement des flux dâimmigration sur la rĂ©gion (attrait de la rĂ©gion au dĂ©triment dâautres destinations), ceux dâun accroissement du phĂ©nomĂšne de villĂ©giature (rĂ©sidences secondaires : 14% du parc immobilier rĂ©gional, situĂ©es pour les 2/3 sur le littoral) et en corrĂ©lation ceux dâun marchĂ© immobilier spĂ©culatif. Depuis, le phĂ©nomĂšne nâa guĂšre faibli, mĂȘme avec la crise dont les effets ne paraissent perceptibles sur le littoral que depuis 2011 avec un ralentissement de la spĂ©culation immobiliĂšre.
A lâinstar des littoraux les plus touristiques de la planĂšte, les cĂŽtes de la Bretagne ont attirĂ© des populations nouvelles Ă la recherche dâun cadre de vie plus attrayant. Sur les 35 000 habitants venus en 2010 dans la rĂ©gion, 57% se sont installĂ©s sur le littoral ou la zone rĂ©tro littorale lesquelles dĂ©sormais concentrent 80% de la population. PrĂšs dâun tiers de ces nouveaux venus a plus de 60 ans et intervient dans 57% des transactions immobiliĂšres. Ainsi, sur de nombreuses portions du littoral, une Ă©conomie de villĂ©giature sâest mise en place, reposant sur un habitat de rĂ©sidences secondaires et/ou de retraite (14% du parc de logements dont les 2/3 sur le littoral avec des taux de 75 Ă 80% sur certaines communes) qui densifie lâespace et lâartificialise, faisant actuellement de la Bretagne une des rĂ©gions françaises oĂč cette consommation sâaccroĂźt le plus rapidement (plus de la moitiĂ© des 6500 ha de terres consommĂ©s chaque annĂ©e en RĂ©gion Bretagne). Cette orientation non maĂźtrisĂ©e gĂ©nĂšre un nombre croissant de problĂšmes.
Alors que le phĂ©nomĂšne sâintensifie, nous en mesurons chaque jour les effets pervers : spĂ©culation immobiliĂšre et fonciĂšre, appĂ©tit de constructions, urbanisation en nappe et dĂ©structurĂ©e, congestion des villes ports, artificialisation croissante des sols et dĂ©sir contradictoire de sanctuariser ces espaces au nom de la dĂ©fense dâun environnement idĂ©alisĂ© ; mais aussi, en corrĂ©lation, sĂ©grĂ©gation sociale et gĂ©nĂ©rationnelle et surtout Ă©viction progressive des activitĂ©s primaires et industrialo portuaires qui ont construit ce littoral, en ont dĂ©fini au fil des siĂšcles des cultures, une identitĂ© et un patrimoine particuliers.
De la protection à la préservation :
Cette pression touristique croissante, cette densification littorale, lâattrait Ă©conomique rĂ©cent des ocĂ©ans qui multiplie les fonctions littorales, ont eu au moins trois incidences : une dĂ©gradation des paysages, des conflits dâusages, des dĂ©sordres environnementaux.
Le premier rĂ©flexe a Ă©tĂ© de protĂ©ger. Toutes les politiques publiques lancĂ©es depuis 1959, date de crĂ©ation des premiers « PĂ©rimĂštres sensibles », Ă la loi Littoral (3 janvier 1986) et la loi sur lâeau (3 janvier 1992) sont allĂ©es dans ce sens. En dĂ©pit de sa nĂ©cessitĂ©, tout un arsenal de mesures de protection a montrĂ© ses limites et Ă©tĂ© parfois lâobjet de vives critiques. Câest le cas de la loi Littoral dont les bienfaits pour le littoral breton sont pourtant Ă©vidents. En effet, la pression du phĂ©nomĂšne de villĂ©giature y est arrivĂ©e aprĂšs quâelle soit entrĂ©e en application, empĂȘchant ainsi des atteintes lourdes Ă ses rivages comme cela a pu ĂȘtre le cas ailleurs. Mais toutes ces mesures dĂ©cidĂ©es par lâEtat sont arrivĂ©es Ă posteriori par rapport aux atteintes Ă endiguer, se sont imposĂ©es aux populations et aux Ă©lus locaux, ont dissĂ©quĂ© lâespace le rendant illisible (une fonction = un pĂ©rimĂštre), sont devenus par leur multiplicitĂ© une jungle rĂ©glementaire difficile Ă dĂ©crypter. Elles ont, par ailleurs, ignorĂ© la zone rĂ©tro littorale et lâespace marin aujourdâhui tout autant affectĂ©s, dâoĂč les nombreuses critiques formulĂ©es Ă leur encontre.
Dans les annĂ©es 90, les politiques de protection avouant leurs limites, une sĂ©rie de rapports nationaux, europĂ©ens et internationaux ont alors prĂŽnĂ© une autre orientation des politiques littorales. (1) Peu Ă peu, une nouvelle approche prenait forme substituant Ă la notion de protection celle de prĂ©servation (prae servare = faire attention, Ă©pargner par anticipation). Celle-ci remplace peu Ă peu les anciennes politiques imposĂ©es de lâEtat par une gouvernance participative reprĂ©sentant tous les acteurs, Ă©largissant le seul espace littoral terrestre Ă une vision spatiale plus large, liant dans une interdĂ©pendance complexe les diffĂ©rents milieux naturels composant un littoral (la mer, lâestran, la cĂŽte, lâhinterland). Câest donc Ă un nouveau « contrat social », global et durable, quâinvite, dans une vision stratĂ©gique dâamĂ©nagement Ă long terme, cette nouvelle politique dite de Gestion intĂ©grĂ©e des zones cĂŽtiĂšres (GIZC). On la retrouve dans les orientations du « Grenelle de la Mer » dĂ©finies en 2009 aprĂšs de larges consultations des diffĂ©rents acteurs vivant sur ces espaces littoraux.
Renouant avec les rĂ©flexions prĂ©monitoires du SALBI de 1975 (SchĂ©ma dâAmĂ©nagement du Littoral Breton et des Iles), trĂšs en avance sur son temps, la RĂ©gion Bretagne sâest emparĂ©e de cette notion de GIZC, prĂ©sentant en dĂ©cembre 2007 sa « Charte des espaces cĂŽtiers Bretons » qui tente dâorienter aujourdâhui nombre de politiques littorales locales Ă travers la mise en place dâune instance rĂ©gionale de concertation. La ConfĂ©rence rĂ©gionale de la mer et du Littoral regroupe en 5 collĂšges les diffĂ©rents acteurs concernĂ©s (membres de la ConfĂ©rence territoriale, collectivitĂ©s locales, Etat, organisations socio-professionnelles, associations, experts).
Ainsi en France, la Bretagne est dĂ©sormais devenue un exemple en matiĂšre de politique littorale. Reste toutefois Ă sensibiliser la population, Ă se doter localement des organes de gestion et des compĂ©tences nĂ©cessaires Ă la mise en Ćuvre de cette politique. Car celle-ci est complexe, suppose des pratiques de gouvernance bien diffĂ©rentes de celles en place ainsi quâune relecture des espaces et du temps.
De la mer Ă la terre :
Nous vivons donc actuellement une pĂ©riode de transition en matiĂšre de politique littorale. Certes les mesures anciennes de protection poursuivent leur rĂŽle : loi Littoral, propriĂ©tĂ©s du Conservatoire du littoral, OpĂ©rations Grand Site, SMVM, pĂ©rimĂštres Natura 2000 Ă terre et en mer tissent leur toile en matiĂšre de protection. Mais peu Ă peu la nature de leur action a changĂ©. Il ne sâagit plus de protĂ©ger, de « mettre sous cloche » ces espaces. Il faut au contraire les faire vivre, insĂ©rer leurs fonctions dans une approche globale, intĂ©grant les dynamiques environnementales, les activitĂ©s humaines et leurs Ă©volutions, les enjeux de demain. Ainsi le Conservatoire du littoral se prĂ©occupe depuis quelques annĂ©es de la mise en valeur agricole des terres quâil possĂšde ; ainsi les ComitĂ©s des pĂȘches revendiquent la gestion des espaces Natura 2000 en mer pour prĂ©server la ressource et participent Ă de nombreux projets de cantonnement Ă travers les politiques Ă©oliennes et hydroliennes en mer (cas du secteur de Paimpol/ BrĂ©hat). Mais câest une approche plus complexe des territoires qui apparaĂźt aujourdâhui nĂ©cessaire, considĂ©rant dorĂ©navant le gĂ©osystĂšme littoral dans son ensemble comme un espace unique (par gĂ©osystĂšme, concept paru en 1968, il faut entendre la combinaison des Ă©cosystĂšmes et des anthroposystĂšmes). Il y a en effet nĂ©cessitĂ© Ă le considĂ©rer dans sa globalitĂ© pour mieux en maĂźtriser les interactions complexes, c'est-Ă -dire en intĂ©grant toutes les composantes de cet espace dâinterfĂ©rence oĂč lâeau constitue le dĂ©nominateur commun et vital pour tous: la mer, la mer bordiĂšre si essentielle, ses Ăźles, lâestran, la cĂŽte, le littoral, la zone rĂ©tro littorale, lâhinterland rural.
Cela suppose un changement radical des reprĂ©sentations, impliquant la prise en compte des enjeux Ă partir de la mer et non plus du continent. En prĂ©server son Ă©tat pour en assurer les Ă©quilibres (morphologiques, halieutiques) suppose, en effet, de remettre en cause nos pratiques de vie, essentiellement terrestres. Vaste projet supposant une rĂ©volution des comportements et des esprits. Il convient alors de gĂ©rer ce milieu dâinterface en responsabilisant les populations qui y vivent et y travaillent, ce qui suppose une instance de gestion unique pour traiter tous Ă la fois les problĂšmes et des territoires dâaction adaptĂ©s et cohĂ©rents Ă lâĂ©gard de cette politique.
Le concept de Pays maritime et cĂŽtier, apparu en 1999 et sâinscrivant dans la dĂ©marche de reconnaissance du Pays comme une structure de base du territoire breton serait sans doute le mieux Ă mĂȘme de rĂ©pondre Ă de tels objectifs, mais les orientations nationales, bien quâen reconnaissant tout lâintĂ©rĂȘt, semblent dĂ©sormais tourner le dos Ă ce mode dâautogestion responsable, solidaire et direct, parfaitement en adĂ©quation avec cette notion de GIZC.
Toutefois, Ă travers les SMVM (SchĂ©mas de Mise en Valeur de la Mer) actuellement en place, les projets de Parcs Naturels RĂ©gionaux (un sur le golfe du Morbihan sur le point de se concrĂ©tiser aprĂšs de longues tentatives, dâautres Ă lâĂ©tude en baies de Morlaix et du Mont Saint Michel), de Parcs marins (celui dâIroise dĂ©jĂ fonctionnel ; un second en attente sur le Mor Braz), câest bien en ce sens quâĂ©volue la politique littorale aujourdâhui.
On peut regretter la lenteur de la mise en place de ces Aires Marines ProtĂ©gĂ©es (AMP), mais les dĂ©marches sont complexes et supposent de remettre en cause de nombreux intĂ©rĂȘts particuliers et les reprĂ©sentations. Lâenjeu est pourtant essentiel car il dĂ©finit le « projet de vie » futur de nos sociĂ©tĂ©s littorales, voire de la rĂ©gion toute entiĂšre dans le cadre dâun « nouveau contrat social ».
(1) ch. 17 de lâagenda 21 de la ConfĂ©rence de Rio en 1992 Ă©voquant la notion de « gestion intĂ©grĂ©e et de dĂ©veloppement durable des zones cĂŽtiĂšres » ; expĂ©rimentation lancĂ©e en 1995 par la CE de cette notion « dâAmĂ©nagement intĂ©grĂ© des zones cĂŽtiĂšres » ; 1er bilan dâapplication de la loi Littoral de fĂ©vrier 1999 ; recommandation du Parlement europĂ©en et du Conseil relative Ă la mise en oeuvre dâune stratĂ©gie de gestion intĂ©grĂ©e des zones cĂŽtiĂšres de mai 2002 ; rapport dâaoĂ»t 2004 de la DATAR « pour un «dĂ©veloppement Ă©quilibrĂ© du littoral ».
Bibliographie indicative :
- EUZENES Pierre et LE FOLL François (rapporteurs), Pour une gestion concertée du littoral en Bretagne, Conseil Economique et Social Région Bretagne, Juin 2004.
- BOUYER Christine (sous la direction), Construire ensemble un développement équilibré du littoral, Etude prospective DATAR, La documentation Française, 2004.
- LEBAHY Yves et LE DELEZIR Ronan, Le littoral agressĂ© - Pour une politique volontariste de lâamĂ©nagement en Bretagne, Editions ApogĂ©e, Novembre 2006.
- Région Bretagne, La charte des espaces cÎtiers bretons, Décembre 2007. LE RHUN P.Y., LE SANN A., LEBAHY Y., LESCOAT J., MARIE G., OLLIVRO J., PERON F., TOCQUER P., Bretagne : un autre littoral, éditions Apogée, Janvier 2009.
- GUYOMARCâH Jean Paul et LE FOLL François (rapporteurs), Milieux cĂŽtiers, ressources marines et sociĂ©tĂ©, Conseil Economique et Social RĂ©gion Bretagne, DĂ©cembre 2011.
- MERCKELBAGH Alain, Et si le littoral allait jusquâĂ la mer ! La politique du littoral sous la Ve RĂ©publique, Editions Quae, Mars 2009.
Ces informations cartographiques ne remettent nullement en cause lâexistence des mesures de protection dĂ©crites dans la carte de 1993 (p.175). Au contraire, elles sây superposent, Ă©largissant le spectre des moyens de protection et prĂ©servation, tant Ă terre quâen mer.
TIROIR : La protection du littoral
Les aires marines protégées (AMP)
Auteur : Yves Lebahy
La notion « dâaires marines protĂ©gĂ©es » existe depuis longtemps mais elle rĂ©apparaĂźt sous la forme dâun RĂ©seau dans la Directive Cadre StratĂ©gique pour le Milieu Marin (DCSMM) â 2008/56/CE - du Parlement europĂ©en et du Conseil du 17 Juin 2008.
Elle offre ainsi un cadre communautaire dâaction permettant « aux Etats membres de prendre toutes les mesures nĂ©cessaires pour rĂ©aliser ou maintenir un bon Ă©tat Ă©cologique du milieu marin, au plus tard en 2020 », sâappliquant jusquâĂ la limite des 200 milles. Elle a Ă©tĂ© reprise dans le Grenelle de la mer en tant que stratĂ©gie nationale.
« Une Aire Marine ProtĂ©gĂ©e est un espace dĂ©limitĂ© en mer, au sein duquel un objectif de protection de la nature Ă long terme a Ă©tĂ© dĂ©fini et pour lequel un certain nombre de mesures de gestion sont mises en Ćuvre telles que le suivi scientifique, le programme dâaction, les bonnes pratiques , la rĂ©glementation, la surveillance, lâinformation au public. Lâobjectif nâest pas exclusif dâautres objectifs ». (1)
Aussi en certains cas, assiste-t-on Ă une revendication des comitĂ©s des pĂȘches dâassumer cette responsabilitĂ© et dâassurer le suivi scientifique de ces aires avec lâaide de chercheurs. La survie des pĂȘches cĂŽtiĂšres en dĂ©pend en effet. Six catĂ©gories dâaires sont rĂ©pertoriĂ©es :
- les Parcs nationaux
- Les réserves naturelles régionales
- Le domaine public maritime affecté au Conservatoire du Littoral
- Les sites Natura 2000
- Les arrĂȘtĂ©s de protection de biotope
- Les Parcs Naturels Marins
A cela sâajoutent : les cantonnements de pĂȘche, les Parc Naturels RĂ©gionaux avec territoire en mer, les rĂ©serves de la BiosphĂšre, les sites RAMSAR, etc.
La stratĂ©gie nationale prĂ©voit la constitution dâun rĂ©seau cohĂ©rent couvrant 10% des zones sous juridiction française dâici 2012, 20% dâici 2020, dĂ©veloppant ainsi la « Trame verte et bleue » proposĂ©e dans le Grenelle de lâenvironnement.
(1) Jean Paul GUYOMARCâH et François LE FOLL (rapporteurs), Milieux cĂŽtiers, ressources marines et sociĂ©tĂ©, CESR de Bretagne, DĂ©cembre 2011, p. 199.