Géographie de la Bretagne/L'exploitation de la mer
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== <span style="color:#000080">« ONG protectionnistes et business vert »</span> == | == <span style="color:#000080">« ONG protectionnistes et business vert »</span> == |
Version du 5 octobre 2015 Ă 14:04
Sommaire |
L'exploitation de la mer (1994)
Auteur : Jean-Pierre Corlay
Bretagne : lâexploitation de la mer (2014)
Auteur : Alain Le Sann
- 2.1 La Bretagne au cĆur des pĂȘches françaises
- 2.2 PĂȘches bretonnes : des adaptations permanentes
- 2.3 Bretagne Sud : lâĂ©chec du modĂšle industriel
- 2.4 La pĂȘche bretonne face aux dĂ©fis europĂ©ens
- 2.5 La conchyliculture : un atout fragile
La Bretagne au cĆur des pĂȘches françaises
Etonnante permanence, avant la RĂ©volution, les pĂȘcheurs bretons reprĂ©sentaient 40% de lâensemble des pĂȘcheurs de France. Aujourdâhui, la Bretagne reprĂ©sente encore 40% des dĂ©barquements en France. Cette tradition bretonne constitue un Ă©lĂ©ment permanent de lâidentitĂ© du territoire et les initiatives dĂ©cisives dans lâĂ©volution de la pĂȘche française sont souvent nĂ©es sur nos cĂŽtes.
Une pĂȘche vitale, encadrĂ©e et intĂ©grĂ©e dans les Ă©changes mondiaux
DĂšs le Moyen Age, la Bretagne est engagĂ©e dans le commerce du poisson sĂ©chĂ© (congre et merlu) et le sel breton joue un grand rĂŽle dans le dĂ©veloppement de la pĂȘche au hareng en Manche et Mer du Nord, de la sardine pressĂ©e dans des ateliers ainsi que plus tard dans la pĂȘche Ă la morue. Le premier dĂ©barquement de morues de Terre-Neuve a eu lieu au port de Dahouet dĂšs 1509. Par la suite, morues et sardines ont alimentĂ© des courants dâĂ©change importants en sâinsĂ©rant en particulier dans le commerce triangulaire. La pĂȘche bretonne, tout en faisant vivre sur la cĂŽte dâinnombrables pĂȘcheurs Ă pied, a donc participĂ© depuis longtemps aux Ă©changes internationaux. De ce fait, les problĂšmes de concurrence ont Ă©tĂ© rĂ©currents. La morue bretonne est ainsi concurrencĂ©e par les productions amĂ©ricaines et anglaises sur les marchĂ©s espagnols.
Source de nourriture, pour une sociĂ©tĂ© oĂč lâĂglise imposait de nombreux jours de jeĂ»ne, et source de revenus, la pĂȘche cĂŽtiĂšre a toujours Ă©tĂ© soumise Ă un fort encadrement par les seigneurs et les abbayes qui sâappropriaient le contrĂŽle de lâestran. Plus tard, lâĂtat sâimposa lorsquâil se renforça sous Louis XIV et Colbert. Soumis Ă lâInscription Maritime, les pĂȘcheurs devaient fournir des matelots pour la flotte royale ; ils Ă©taient aussi soumis Ă des taxations, des interdictions dâengins, de pĂ©riodes de pĂȘche, de commerce. La pĂȘche lointaine a dâailleurs permis dâĂ©chapper partiellement Ă ces contrĂŽles tatillons.
La question des ressources sâest enfin posĂ©e trĂšs tĂŽt dans lâhistoire. Dragues et chaluts ont toujours Ă©tĂ© accusĂ©s de dĂ©truire les fonds et les juvĂ©niles. DĂšs le XIXĂšme siĂšcle, les bancs dâhuĂźtres sont surexploitĂ©s et mĂȘme souvent dĂ©truits. Les ressources sont Ă©galement sujettes Ă des irrĂ©gularitĂ©s qui gĂ©nĂšrent une misĂšre accrue, ce fut le cas pour la sardine et la morue.
Les mutations de 1830 Ă 1945
Le XIXĂšme siĂšcle est marquĂ© par des mutations majeures liĂ©es Ă trois innovations qui vont entraĂźner un essor considĂ©rable des pĂȘches bretonnes, en particulier sur la cĂŽte Sud, parce que la cĂŽte Nord- de Paimpol Ă Cancale- reste marquĂ©e par la grande pĂȘche Ă la morue. La premiĂšre innovation, lâappertisation, va permettre le dĂ©veloppement spectaculaire des conserveries Ă lâinitiative de Nantais. La Bretagne va devenir le premier centre mondial de la conserve de sardines et alimenter des circuits dâĂ©changes internationaux. Du FinistĂšre Nord Ă la Loire, des dizaines de conserveries vont remplacer les ateliers de presse et faire vivre -souvent mal- des milliers de pĂȘcheurs et dâouvriĂšres. Le sommet sera atteint Ă Douarnenez qui pourra compter Ă la fin du siĂšcle, prĂšs de 1 000 chaloupes sardiniĂšres. Le chemin de fer va permettre de dĂ©velopper lâaccĂšs au marchĂ© des grandes villes pour le poisson frais. Le chalut, Ă voile puis Ă vapeur, Ă partir de 1900, permet dâalimenter ces marchĂ©s toute lâannĂ©e. Il permet aussi avec la pĂȘche thoniĂšre de dĂ©gager de nouvelles orientations de dĂ©veloppement pour rĂ©pondre aux premiers signes de la crise qui touche le secteur sardinier Ă partir des annĂ©es 1880. Les Bretons sont en effet les pionniers de la pĂȘche au thon avec les Groisillons et ils ont aussi jouĂ© un rĂŽle important dans le dĂ©veloppement de lâostrĂ©iculture.
AprĂšs le choc de la premiĂšre guerre mondiale, les annĂ©es 20 constituent une pĂ©riode florissante, marquĂ©e par la crĂ©ation du port industriel de Lorient et lâintroduction des moteurs Diesel. TrĂšs vite cependant, les annĂ©es 1930 sont marquĂ©es par une grave crise aux aspects multiples : coĂ»t de lâĂ©nergie (charbon), concurrence, crise sociale, endettement, effondrement des marchĂ©s. Câest au cĆur de cette crise que vont naĂźtre deux grands courants qui marquent lâhistoire des pĂȘches bretonnes et françaises. Câest en 1924-25 que Charles Tillon, en venant soutenir les ouvriĂšres des conserveries de Douarnenez en grĂšve, favorise lâĂ©mergence dâun syndicalisme de lutte de classe qui connaĂźt briĂšvement un certain succĂšs et permet de consolider des municipalitĂ©s communistes comme celle de Douarnenez, la premiĂšre en France. Dans les annĂ©es 30, le PĂšre dominicain Lebret, en sâappuyant sur ses enquĂȘtes dans les ports et sur les bateaux de grande pĂȘche, sâinspire du catholicisme social pour crĂ©er des organisations professionnelles et poser les bases des comitĂ©s locaux et dâun comitĂ© national regroupant tout le monde de la pĂȘche. Mis en place sous Vichy en 1941, le systĂšme est largement repris par le gouvernement issu de la RĂ©sistance, en 1945. Ce systĂšme a perdurĂ© sans grand changement jusquâen 2011, mais dĂ©sormais lâavenir de la pĂȘche se dĂ©cide bien loin de la Bretagne.
PĂȘches bretonnes : des adaptations permanentes
Les pĂȘches nâont pu se maintenir quâen sâadaptant en permanence Ă lâĂ©volution des ressources, des marchĂ©s, des techniques et des rĂ©alitĂ©s sociales.
Sur la cĂŽte Nord, le plus bel exemple dâadaptation et dâinnovation est donnĂ© par lâhistoire de la pĂȘche Ă la coquille Saint Jacques, en baie de Saint Brieuc. Dans les annĂ©es 60, les pĂȘcheurs de la baie dĂ©couvrent des coquilles dans leurs chaluts. Auparavant, le gisement de praires a Ă©tĂ© dĂ©truit par la surexploitation. Il semble que lâhiver trĂšs froid de 1962 ait Ă©tĂ© fatal aux prĂ©dateurs de la coquille et que celle-ci ait trouvĂ© des conditions idĂ©ales pour se dĂ©velopper. Il est frĂ©quent, lorsquâune ressource disparaĂźt, de voir la niche quâelle occupait investie par une nouvelle. Ainsi, la destruction des bancs naturels dâhuĂźtres a permis aux moules de se dĂ©velopper. La dĂ©couverte de la coquille St Jacques a dĂ©clenchĂ© une ruĂ©e des bateaux, du FinistĂšre Ă la Normandie. En effet, au mĂȘme moment, le gisement de la rade de Brest a Ă©tĂ© mis Ă mal. En quelques annĂ©es, lâEldorado de la coquille est menacĂ©, mais lâexpĂ©rience du gisement de praires a servi de leçon et quelques pĂȘcheurs rĂ©ussissent Ă mobiliser leurs collĂšgues de la Baie pour mettre en place des mesures de gestion. Celles-ci deviennent de plus en plus strictes pour prĂ©server les gisements et les marchĂ©s. Les scientifiques, qui avaient tentĂ© auparavant de fixer le naissain de coquilles et avaient Ă©chouĂ©, acceptent dâaccompagner et de soutenir les dĂ©marches des pĂȘcheurs. Cette gestion rigoureuse est aujourdâhui un modĂšle de rĂ©ussite malgrĂ© ses imperfections et les mesures Ă©voluent en permanence.
Cette histoire exemplaire indique une bonne voie pour maĂźtriser la gestion des ressources. Lâessentiel est dâengager une dĂ©marche collective sur un territoire de pĂȘche contrĂŽlĂ© par les pĂȘcheurs avec un accompagnement scientifique. Dans le cas prĂ©sent, il sâagit dâune ressource peu mobile et bien identifiĂ©e, mais les pĂȘcheurs exercent tous sur des territoires de pĂȘche quâils connaissent et sâapproprient de fait par ces connaissances. Ils constatent au jour le jour lâĂ©volution des ressources et sâadaptent en permanence. Ces savoirs peuvent servir de base Ă la mise en place de dĂ©marches collectives. Une fois engagĂ©es et acceptĂ©es par les pĂȘcheurs, contrĂŽlĂ©es sous leur responsabilitĂ©, ces mesures peuvent ĂȘtre ajustĂ©es en permanence Ă la condition que lâaccĂšs aux ressources soit contrĂŽlĂ© et limitĂ©. Ce sont les principes de la gestion des communs analysĂ©s par Elinor Ostrom, prix Nobel dâEconomie. On retrouve des modes de gestion semblables en Baie de Granville et, mĂȘme au niveau international, entre pĂȘcheurs bretons, normands et britanniques des Ăźles Anglo-normandes.
Sur la CĂŽte Sud, les Ă©volutions aux 19Ăšme et 20Ăšme siĂšcles montrent Ă©galement des adaptations innovantes aprĂšs les crises rĂ©currentes de lâactivitĂ© sardiniĂšre. Il y eut bien sĂ»r des Ă©checs puisque des ports ont pratiquement disparu Ă la suite de choix qui se sont rĂ©vĂ©lĂ©s inadaptĂ©s. Chaque port sardinier a suivi un chemin diffĂ©rent en fonction des forces sociales en prĂ©sence, des conditions gĂ©ographiques, des traditions locales. Ainsi lâĂźle de Groix, tenue Ă lâĂ©cart du boom de la sardine sâest-elle lancĂ©e dans la pĂȘche au thon Ă partir de 1860, en sâappuyant sur son expĂ©rience du commerce dans le Golfe de Gascogne, lâessentiel de la pĂȘche Ă©tant dĂ©barquĂ© pour alimenter les conserveries de Concarneau. Lâexercice du chalut pendant lâhiver a prĂ©parĂ© les pĂȘcheurs Ă devenir par la suite officiers et matelots sur les chalutiers industriels lorientais. Le petit port du Bono, prĂšs dâAuray, sâest aussi trouvĂ© Ă©cartĂ©, par sa situation en fond de ria, de la pĂȘche sardiniĂšre.
Sur leurs forbans, les pĂȘcheurs du Bono sont devenus avant 1914, les spĂ©cialistes du chalut et de la pĂȘche fraĂźche, dĂ©barquĂ©e au Croisic. AprĂšs la guerre, ayant ratĂ© le tournant de la motorisation, ils ont embarquĂ© Ă la pĂȘche industrielle, souvent Ă Concarneau, parce quâils avaient des liens avec les constructeurs concarnois. Pour leur part, les pĂȘcheurs de Concarneau ont tardĂ© Ă faire le choix de la pĂȘche thoniĂšre, mais ils en sont devenus les maĂźtres en sâappuyant sur les innovations du moteur et du froid. Leur spĂ©cialisation et leurs liens avec des industriels les ont poussĂ©s vers lâAfrique et lâOcĂ©an Indien sur des navires de plus en plus gros et sophistiquĂ©s.
Des ports comme Camaret ont choisi la pĂȘche Ă la langouste, avec le soutien de commerçants brestois qui disposaient des moyens et des rĂ©seaux commerciaux. La fin de la pĂȘche sardiniĂšre Ă Douarnenez a dĂ©bouchĂ© sur le dĂ©veloppement de la pĂȘche lointaine Ă la langouste et de la pĂȘche industrielle chalutiĂšre. Ces choix ont abouti Ă des impasses avec lâĂ©puisement des fonds. Les ports du pays Bigouden ont pris dâautres options, sardines Ă la bolinche et pĂȘche chalutiĂšre Ă la langoustine et aux poissons de fonds. Plus au Sud, en Loire-Atlantique, le port de La Turballe choisit de dĂ©velopper la pĂȘche au chalut pĂ©lagique pour la sardine et lâanchois, contre la volontĂ© des autres pĂȘcheurs du Morbihan, mais avec lâappui dâun baron du gaullisme, Olivier Guichard. Enfin, on connaĂźt lâadmirable combat qui permit de sauver les marais salants de GuĂ©rande. Ces Ă©volutions, associĂ©es Ă la diversitĂ© des zones cĂŽtiĂšres et des fonds du plateau continental, permettent dâexpliquer lâextrĂȘme complexitĂ© des pĂȘches bretonnes actuelles.
Bretagne Sud : lâĂ©chec du modĂšle industriel
La Bretagne Sud a longtemps abritĂ© les fleurons de la flotte de pĂȘche française avec des ports emblĂ©matiques comme Douarnenez, Le Guilvinec, Concarneau, Lorient, La Turballe. Lâessor sâest poursuivi jusque dans les annĂ©es 1980 sur la base dâune pĂȘche hauturiĂšre exploitant des zones de plus en plus Ă©loignĂ©es de Bretagne, jusquâau nord de lâEcosse, sans parler des pĂȘches lointaines Ă la langouste ou au thon, au large de lâAfrique. Cette pĂȘche hauturiĂšre sâappuyait sur deux flottes chalutiĂšres, industrielle Ă Lorient, Concarneau et Douarnenez, artisanale dans le pays bigouden, Lorient et La Turballe. A la crise de la ressource se sont ajoutĂ©es les mutations des systĂšmes de distribution et des marchĂ©s et les Ă©volutions erratiques des prix de lâĂ©nergie.
Depuis le dĂ©but des annĂ©es 1990, les crises dominent les pĂ©riodes plus sereines et elles ont abouti Ă une diminution considĂ©rable des deux flottilles et du nombre de marins. Les armements industriels se sont pour la plupart effondrĂ©s et les dĂ©bris de cette flotte ont Ă©tĂ© repris par une sociĂ©tĂ© qui dispose de capacitĂ©s financiĂšres, la ScapĂȘche, filiale dâIntermarchĂ©. Lâarmement Dhelemmes de Concarneau est pour sa part sous le contrĂŽle dâun armement hollandais. La ScapĂȘche, basĂ©e Ă Lorient, contrĂŽle aujourdâhui les derniers grands bateaux industriels et a rĂ©ussi Ă stabiliser la situation avec de nouveaux investissements. Son avenir est cependant incertain face Ă lâoffensive des ONG environnementalistes contre la pĂȘche de grands fonds qui prĂ©figure une attaque gĂ©nĂ©ralisĂ©e contre le chalutage de fond.
Les débarquements à Lorient sont passés de 75 000 T dans les années 80 à 15 000 T en fin de décennie 2000. Le port a remplacé les débarquements locaux par des importations qui viennent du monde entier et alimentent une industrie de transformation florissante qui fournit la restauration collective et les rayons des hypermarchés. Douarnenez a sombré en 20 ans de 15 000 T à 1 400 T, Concarneau résiste en passant de 30 000 T à moins de 20 000 T, mais, à son apogée, le port recevait 50 000 T dans les années 60.
Le secteur artisan hauturier disparaĂźt de plusieurs ports comme Lorient, oĂč seul subsiste une pĂȘche cĂŽtiĂšre diversifiĂ©e aux cĂŽtĂ©s de la ScapĂȘche. Il rĂ©siste mieux dans le pays bigouden, particuliĂšrement au Guilvinec, mais Loctudy est trĂšs affaibli et ne compte plus que 10 hauturiers. Au Guilvinec, le secteur a subi Ă©galement une grande saignĂ©e tandis que rĂ©sistent quelques armements industriels exploitant des chalutiers hauturiers de 20-24 m. Les plans successifs de sortie de flotte ont permis de sortir les bateaux les plus anciens et les plus endettĂ©s. Les navires restants ont retrouvĂ© de la rentabilitĂ©, mais ils doivent aujourdâhui faire face Ă plusieurs dĂ©fis majeurs qui conditionnent la survie de cette pĂȘche hauturiĂšre. Il faut trouver les moyens de renouveler Ă la fois les bateaux et les hommes, patrons et matelots. La moyenne dâĂąge des bateaux, hauturiers comme cĂŽtiers, est de 25 ans. Il est difficile de financer de nouveaux bateaux du fait des contraintes europĂ©ennes et LâUnion EuropĂ©enne ne fera rien pour aider au renouvellement des hommes car son objectif est de rĂ©duire encore la flotte de pĂȘche et le nombre de pĂȘcheurs et elle attend patiemment que le secteur se rĂ©duise naturellement, au besoin en accĂ©lĂ©rant son dĂ©clin par une marchandisation des droits de pĂȘche. Faute de renversement de cette volontĂ© politique, lâavenir est particuliĂšrement menacĂ© car câest toute une culture et des savoirs qui vont disparaĂźtre avant la ressource. La focalisation sur cette seule prĂ©occupation est prĂ©occupante pour lâavenir du secteur, car il est plus facile de reconstituer les ressources que de reconstruire une communautĂ© humaine disposant de lâenvie, des savoirs, des hommes, de lâenvironnement et des capitaux nĂ©cessaires pour garantir la pĂ©rennitĂ© de lâactivitĂ©. Il est vrai que les choix des Ă©lus tendent Ă privilĂ©gier le tourisme, lâenvironnement, les extractions de sable ou lâĂ©nergie Ă©olienne.
En Loire-Atlantique, le port de La Turballe a fait le choix de privilĂ©gier le chalutage pĂ©lagique orientĂ© en particulier vers la pĂȘche Ă lâanchois, trĂšs rĂ©munĂ©ratrice. Cependant, ces ressources sont fragiles et fluctuantes, indĂ©pendamment des risques de surpĂȘche. La pĂȘche Ă lâanchois a Ă©tĂ© fermĂ©e pendant plusieurs annĂ©es aprĂšs 2005, condamnant plusieurs armements. Cette fermeture a accentuĂ© la pression sur dâautres ressources avec des bateaux puissants. En 2010, le port a rĂ©ussi Ă dĂ©barquer prĂšs de 7 000 T et le retour de lâanchois permet dâenvisager un redressement. Le secteur de la petite pĂȘche cĂŽtiĂšre subit pour sa part lâeffondrement des ressources de civelles qui assuraient une bonne partie du chiffre dâaffaires de nombreux petits bateaux qui ne peuvent guĂšre se tourner vers dâautres ressources.
Artisans ou industriels, cĂŽtiers ou hauturiers, tous les ports de Bretagne Sud doivent aussi rĂ©pondre au dĂ©fi Ă©nergĂ©tique, particuliĂšrement important pour les chalutiers. Pour les fileyeurs, le coĂ»t du renouvellement des filets est aussi fortement liĂ© Ă celui du pĂ©trole. Il nây a guĂšre de perspective de baisse des prix, ni de baisse importante des consommations. Les seules solutions se trouvent dans lâamĂ©lioration des ressources, une meilleure valorisation sur les marchĂ©s. Cette derniĂšre solution nâest guĂšre facile pour des productions de masse, les circuits courts sont plus adaptĂ©s aux pĂȘches cĂŽtiĂšres et connaissent aujourdâhui un regain dâintĂ©rĂȘt. Le choix de nouveaux engins de pĂȘche peut reprĂ©senter une solution, mais ne va pas sans problĂšmes. La senne danoise est pour lâinstant rejetĂ©e par les pĂȘcheurs bretons dans leur majoritĂ© car elle pose des problĂšmes de partage des zones de pĂȘche. Câest le cas Ă©galement dâun passage Ă la pĂȘche des langoustines au casier qui ne peut ĂȘtre rentable que dans certaines zones proches des ports suivant les rĂ©centes Ă©tudes.
Tous ces défis sont bien plus difficiles à relever que celui des ressources⊠sur lequel se focalise cependant la Commission Européenne, les scientifiques et les ONG environnementalistes.
La pĂȘche bretonne face aux dĂ©fis europĂ©ens
La pĂȘche bretonne est confrontĂ©e aux dĂ©fis de la RĂ©forme de la Politique Commune des PĂȘches (PCP) telle quâelle se profile pour 2013, mais au-delĂ elle doit faire face Ă des changements profonds liĂ©s Ă des dĂ©bats engagĂ©s au niveau international, dans des instances comme la FAO, lâOMC ou la Convention sur la BiodiversitĂ©.
La pĂȘche bretonne se caractĂ©rise par la diversitĂ© de ses entreprises artisanales qui recouvre la petite pĂȘche, la pĂȘche cĂŽtiĂšre et une partie de la pĂȘche hauturiĂšre. Traditionnellement, la pĂȘche cĂŽtiĂšre et la pĂȘche hauturiĂšre, qui assurent une bonne partie des dĂ©barquements dans les principaux ports, dominaient les instances de reprĂ©sentation. La petite pĂȘche trouvait pourtant sa place malgrĂ© quelques difficultĂ©s et faisait preuve de dynamisme (association des ligneurs).
- La Commission EuropĂ©enne a pourtant changĂ© la donne en adoptant une dĂ©finition de la pĂȘche artisanale trĂšs restrictive, limitĂ©e en fait Ă la petite pĂȘche : bateaux de moins de 12 m Ă lâexclusion des arts traĂźnants, dragues et chaluts. La totalitĂ© des langoustiniers qui assurent la vitalitĂ© des ports de Bretagne Sud sont donc exclus. Ils se retrouvent ainsi classĂ©s dans la pĂȘche industrielle. Cette dĂ©finition a reçu lâappui des ONG environnementalistes (ONGE), trĂšs Ă©coutĂ©es par la Commissaire en charge de la pĂȘche, Maria Damanaki.
Lâenjeu est dâimportance car les deux secteurs seront soumis Ă des politiques diffĂ©renciĂ©es. Les reprĂ©sentants de la petite pĂȘche sont conduits Ă sâorganiser de maniĂšre indĂ©pendante avec lâappui de la Commission et des ONGE. Cette exclusion dâune bonne partie du secteur artisan va entraĂźner lâapplication de mesures rĂ©servĂ©es au secteur industriel. La rĂ©forme amĂšnera logiquement Ă terme Ă la mise en Ćuvre des Quotas TransfĂ©rables, car il est peu concevable que deux systĂšmes diffĂ©rents (quotas gratuits et quotas payants) coexistent sur les mĂȘmes pĂȘcheries. Les subventions seront rĂ©servĂ©es Ă la petite pĂȘche. A terme on sait ce que cela signifie : Ă©limination de 50% au moins des navires de plus de 12 m et concentration de la pĂȘche sur une bande cĂŽtiĂšre saturĂ©e.
Lâautre menace pour la pĂȘche chalutiĂšre, cĂŽtiĂšre ou hauturiĂšre, vient de lâinterdiction des rejets. Les ONGE et la Commission ont menĂ© une campagne trĂšs efficace pour stigmatiser cette pratique. Elle est pourtant due en partie Ă la politique des quotas appliquĂ©e Ă des pĂȘcheries multi-spĂ©cifiques. LĂ encore, la mise en Ćuvre des QIT sera la consĂ©quence logique de cette interdiction : ce sera la seule maniĂšre de valoriser les captures hors quotas. Quant aux langoustiniers, ils ont fait de gros efforts pour limiter leurs rejets, mais cela ne suffit pas Ă satisfaire la Commission et les ONGE. Si une reconversion est possible, elle sera trĂšs difficile et limitĂ©e. Comme ces bateaux ont gĂ©nĂ©ralement plus de 20 ou 25 ans, les choix Ă faire sont urgents et difficiles si lâon veut Ă©viter une disparition de lâactivitĂ© Ă moyen terme.
A ces dĂ©fis liĂ©s Ă la rĂ©forme de la PCP sâen ajoutent dâautres qui vont avoir un impact considĂ©rable sur les pĂȘches bretonnes : les subventions et la dĂ©fense de la biodiversitĂ©.
Sur les subventions, la bataille fait rage depuis plusieurs annĂ©es dans les forums internationaux : pour beaucoup dâONGE et de scientifiques, les pĂȘcheurs reçoivent des subventions pour voler un poisson qui ne leur appartient pas. Ils doivent donc payer lâaccĂšs Ă la ressource (QIT) et renoncer aux subventions. Celles-ci concernent la dĂ©taxation du carburant, les aides aux investissements pour les navires ou les infrastructures portuaires, la recherche et le contrĂŽle. Pour les libĂ©raux et beaucoup dâĂ©cologistes, les pĂȘcheurs doivent payer tout cela et dĂ©gager la rente maximale pour le faire, en Ă©tant peu nombreux Ă se partager cette rente. Soumis Ă de telles pressions, bon nombre de hauturiers, chalutiers ou autres ne pourront plus travailler et la pression sur la bande cĂŽtiĂšre se fera encore plus forte.
Cette pression sera dâautant plus forte quâil est prĂ©vu dâinterdire la pĂȘche sur 10 Ă 20% des espaces marins, en haute mer comme sur la bande cĂŽtiĂšre. Il est possible que ces rĂ©serves soient utiles pour protĂ©ger les ressources mais elles ne les augmenteront guĂšre, si la pression est reportĂ©e sur les zones non protĂ©gĂ©es. Les rĂ©serves intĂ©grales vont compliquer lâaccĂšs aux zones autorisĂ©es Ă la pĂȘche cĂŽtiĂšre, comme le montre lâexemple du Parc des Calanques prĂšs de Marseille.
Pour la pĂȘche industrielle, le grand dĂ©fi concerne les grands fonds. Cette activitĂ© touche les ports du Guilvinec et de Lorient. La Commission voudrait interdire cette pĂȘche au chalut Ă moins de 400 m, en 2014. Pour certaines ONGE, ce serait moins de 200 m. Ces pĂȘcheries concernent peu de bateaux et des tonnages rĂ©duits sur des espĂšces qui ne sont plus menacĂ©es. Lâinterdiction affaiblirait cependant les armements et les ports. La pĂȘche serait redĂ©ployĂ©e sur dâautres zones du plateau continental oĂč la pression est dĂ©jĂ forte. Il nâest pas certain que tous les armements y survivraient.
Lâimpact de la rĂ©forme de la PCP et des mesures liĂ©es aux engagements internationaux risque dâĂȘtre considĂ©rable pour lâensemble des pĂȘcheurs bretons, industriels et artisans, hauturiers et cĂŽtiers. Les structures portuaires en seront aussi bouleversĂ©es.
La conchyliculture : un atout fragile
La conchyliculture en Bretagne reprĂ©sente une activitĂ© importante pour les zones littorales, comparable avec la pĂȘche. Elle emploie prĂšs de 5 000 personnes dont une bonne partie de saisonniers car les activitĂ©s sont trĂšs variables au cours de lâannĂ©e, en particulier dans lâostrĂ©iculture. En 2008, environ 900 entreprises se rĂ©partissaient Ă©quitablement entre le Nord et le Sud de la Bretagne. Celle-ci reprĂ©sente plus de 40% de la production conchylicole française avec 83 000 tonnes en 2009. Cette production est fortement intĂ©grĂ©e dans un systĂšme complexe dâĂ©changes de la Normandie Ă la Charente, les huĂźtres subissent des transferts au cours du cycle de production. De ce fait la Bretagne ne maĂźtrise pas complĂštement la production et la commercialisation de ses huĂźtres.
La cĂŽte Nord se caractĂ©rise par un Ă©quilibre entre la production dâhuĂźtres et celle de moules de bouchots. La baie de Cancale conserve une production dâhuĂźtres plates qui assure sa renommĂ©e. En Bretagne Sud, lâostrĂ©iculture domine, la faiblesse de la production de moules est compensĂ©e par une forte production de coques et quelques centaines de tonnes de palourdes. Il faut dâailleurs noter que la pĂȘche Ă pied de coquillages assure aussi un complĂ©ment Ă lâĂ©levage et que leurs circuits de distribution sont souvent communs.
La conchyliculture est fortement dĂ©pendante de lâĂ©tat du milieu. Celui-ci a souvent tendance Ă se dĂ©grader, ce qui affecte durement la commercialisation. Les conchyliculteurs sont aussi confrontĂ©s Ă une forte concurrence pour lâespace, en mer comme Ă terre. Les concessions reprĂ©sentent prĂšs de 10 000 ha auxquels il faut ajouter 500 km de bouchots. Les tentatives pour crĂ©er de nouvelles concessions en eaux profondes, sur des filiĂšres par exemple, se heurtent Ă de fortes oppositions des rĂ©sidents qui refusent les limitations Ă la circulation de leurs bateaux et Ă la pĂȘche, ainsi que les atteintes aux paysages. A terre, les conchyliculteurs ont besoin de disposer dâinstallations proches du rivage, ce qui leur est souvent reprochĂ© par certains riverains ou estivants.
Aujourdâhui, lâactivitĂ© la plus menacĂ©e est lâostrĂ©iculture du fait de la persistance de fortes mortalitĂ©s de jeunes huĂźtres. De nombreux exploitants ont dĂ» renoncer Ă leur activitĂ©, particuliĂšrement dans le Morbihan. Les petites exploitations ostrĂ©icoles sont les plus touchĂ©es, bien dissĂ©minĂ©es sur le littoral, elles jouent un rĂŽle essentiel de sentinelle pour la qualitĂ© de lâeau.
La Bretagne dispose dâatouts pour dĂ©fendre son image avec quelques huĂźtres de terroir de renommĂ©e nationale (Belon, Cancale). Des efforts importants sont engagĂ©s pour renforcer lâimage de qualitĂ© avec les moules de bouchots qui bĂ©nĂ©ficient dâune AOP en Baie du Mont Saint Michel. Des structures permettent dâassocier agriculteurs et ostrĂ©iculteurs dans des dĂ©marches de protection de la qualitĂ© de lâeau (CAP 2000 en ria dâEtel). Il reste cependant beaucoup Ă faire pour lutter contre les algues vertes, les pollutions issues des milieux urbains ou portuaires, les boues de dragage, les transformations des estuaires, etc.
Depuis 2008, lâactivitĂ© conchylicole europĂ©enne est menacĂ©e par une forte mortalitĂ© des huĂźtres. Certains mettent en cause la densitĂ© des Ă©levages, qui rĂ©duit la quantitĂ© de nourriture disponible, et le dĂ©veloppement des Ă©closeries qui affaiblit la base gĂ©nĂ©tique.
La conchyliculture bretonne est un atout majeur dans la panoplie diversifiĂ©e des productions primaires. Totalement dĂ©pendante du milieu naturel, elle constitue une sentinelle indispensable pour protĂ©ger les eaux littorales et les cĂŽtes. Elle fournit des produits dâune qualitĂ© incomparable, trĂšs valorisants pour la RĂ©gion dans son ensemble, mais elle est fortement affectĂ©e par les pollutions et les dĂ©gradations de la qualitĂ© du plancton. Une nouvelle activitĂ© de production dâalgues sur des concessions importantes, en Bretagne Nord comme sur la cĂŽte Sud, permet Ă certaines entreprises ostrĂ©icoles importantes de diversifier leur activitĂ©.
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« ONG protectionnistes et business vert »
Une analyse dâAlain Le Sann
DâemblĂ©e, lâauteur de cet ouvrage, la journaliste et Ă©cologiste amĂ©ricaine Christine MacDonald (1), plante le dĂ©cor des rĂ©alitĂ©s quâelle a dĂ©couvertes et cĂŽtoyĂ©es en exerçant des responsabilitĂ©s dans la communication, au sein de lâONGE Conservation International (C.I).
« Des ONG, qui se consacraient seulement au sauvetage des pandas et des rĂ©serves, rivalisent pour attirer les faveurs des compagnies miniĂšres, forestiĂšres et immobiliĂšres. Parmi les plus gĂ©nĂ©reux donateurs figurent les plus grands hors-la-loi de lâenvironnement de toutes les multinationales de lâĂ©nergie. Etre un grand dirigeant dâune organisation conservationiste signifie aujourdâhui, en plus dâun salaire Ă six chiffres, faire de la plongĂ©e avec des rock stars, faire la fĂȘte avec des hĂ©ritiers des multinationales et des journalistes cĂ©lĂšbres Ă bord de jets privĂ©s et de yachts gourmands en Ă©nergie.»
AprĂšs son licenciement en 2007, Christine MacDonald dĂ©cide dâanalyser le fonctionnement des grosses ONGE amĂ©ricaines, qui interviennent dans le monde entier, et de dĂ©crire les liens Ă©troits quâelles entretiennent avec les grandes sociĂ©tĂ©s multinationales, souvent responsables directes ou indirectes des plus graves atteintes Ă lâenvironnement. Son livre est paru en 2008 et a, momentanĂ©ment, attirĂ© lâattention sur les dĂ©rives de ces BINGOs (Big International NGOs). Les noms de ces ONGE ne disent pas grand-chose aux EuropĂ©ens, Ă lâexception de WWF ou de Greenpeace. Le cas de Greenpeace est peu Ă©voquĂ© dans son livre car cette ONGE a plutĂŽt construit son succĂšs sur la critique des grandes sociĂ©tĂ©s, mĂȘme si elle ne dĂ©daigne pas de chercher des financements auprĂšs des grandes fondations libĂ©rales amĂ©ricaines, contrĂŽlĂ©es par des barons dâindustries. Toutes les grandes ONGE citĂ©es sont amĂ©ricaines, mais beaucoup interviennent dans le monde entier : The Nature Conservancy (T.N.C), Conservation International (C.I), Conservation Foundation, WWF-US, Natural Resources Defense Council, National Audubon Society, Environmental Defense Fund (E.D.F), Sierra Club, Wildlife Conservation Society, etc.
ONGE, des entreprises florissantes.
Pour Christine MacDonald, ces ONGE sâapparentent nettement aux multinationales dont elles sont les alliĂ©es. Elles font partie du mĂȘme monde, celui du Big Business. Elles disposent de capitaux et de budgets considĂ©rables. En 2004, le capital cumulĂ© de ces ONGE (12000 aux Etats-Unis) reprĂ©sentait 27 milliards US$ et elles disposaient de 9,6 milliards $ de revenus. TNC a un budget de 1 milliard $. En apparence leurs revenus issus des multinationales sont limitĂ©s : 10%, mais ceci ne doit pas faire illusion car elles reçoivent Ă©galement des fonds considĂ©rables de fondations Ă©troitement liĂ©es aux grandes sociĂ©tĂ©s, sans parler de dons individuels de milliardaires. Ainsi Conservation International, dirigĂ©e par Peter Seligmann, lui-mĂȘme issu dâune grande famille de banquiers, a obtenu en 2002 un engagement de la Fondation Moore, de 261 millions $, de 2002 Ă 2012, le plus important versement jamais rĂ©alisĂ© Ă lâĂ©poque Ă une ONGE.
A partir des annĂ©es 1980-90, la libĂ©ralisation reaganienne a permis un enrichissement considĂ©rable de nombreux banquiers et hommes dâaffaires, bĂ©nĂ©ficiaires de la baisse des impĂŽts. Les riches donateurs ont accru leurs dons parallĂšlement au dĂ©clin du rĂŽle de lâĂtat, certains ont créé des fondations et se sont directement impliquĂ©s dans les orientations des ONG Ă travers le contrĂŽle de leurs dons.
Les ONGE ont constituĂ© un secteur Ă©conomique puissant. TNC est lâun des plus grands propriĂ©taires terriens de la planĂšte avec 50 millions dâha en 2007, elle consacre plus de 800 millions$ Ă des programmes internationaux. Pour certains Ă©tats pauvres du Sud (Madagascar), les dons de ces ONGE reprĂ©sentent une part importante de leur budget et dans de nombreux secteurs, ce charity business privĂ© remplace lâaide publique ou privĂ©e au dĂ©veloppement. Le dĂ©veloppement est dĂ©sormais perçu au travers du prisme environnemental qui conditionne le reste.
Les dirigeants de ces organisations sont souvent issus du monde des affaires, frĂ©quemment des dirigeants de sociĂ©tĂ©s multinationales donatrices font partie de leur bureau. Les salaires des responsables sont comparables Ă ceux de PDG et ils en ont le mode de vie. Certains gagnent plus de 800 000$ et ils bĂ©nĂ©ficient dâavantages pour leur logement. Pour C.MacDonald, ils vivent comme « des droguĂ©s du carbone » tout en parlant du rĂ©chauffement climatique et du dĂ©veloppement durable. Ces liens Ă©troits avec le monde des affaires se justifient, selon les dirigeants des ONGE, par leur volontĂ© dâinfluer sur leurs politiques et leurs pratiques. La journaliste considĂšre au contraire que câest totalement faux et illusoire.
Bien sĂ»r, plusieurs sociĂ©tĂ©s comme Wal Mart, en 2004 ou BP, en 1997, ont annoncĂ© avec force et conviction leur volontĂ© de rĂ©orienter leurs pratiques et de respecter les principes de la durabilitĂ©. Pour lâessentiel, il sâagit surtout de greenwashing et dâune «Walmartisation de la conservation » ; ce sont les ONGE qui se sont compromises pour quelques millions de dollars et servent de caution verte Ă des multinationales en demande dâune belle image sans quâelles changent rĂ©ellement leurs pratiques. C. MacDonald compare cela aux indulgences que les pĂ©cheurs pouvaient acheter au pape tout en continuant allĂšgrement leur mauvaise conduite. Cela a permis aux papes de la Renaissance de bĂątir Saint Pierre de Rome, mais nâa pas vraiment changĂ© la face du monde, pas plus quâune belle rĂ©serve intĂ©grale ne permet aujourdâhui de remettre en cause fondamentalement lâĂ©rosion de la biodiversitĂ©. Lâauteur considĂšre que ces rapprochements ont entraĂźnĂ© lâĂ©chec du mouvement conservationniste. Les ONGE deviennent de « gros chats » tandis que les lynx sauvages continuent de disparaĂźtre malgrĂ© la crĂ©ation de rĂ©serves sur 10% des continents.
Dictateurs de la conservation et Big Business
« Pourquoi les industries les plus polluantes de la planÚte sont-elles parmi les plus gros financeurs des organisations de conservation ? »
Christine MacDonald consacre plusieurs chapitres documentĂ©s aux relations troubles entre ONGE et Big Business, dans les mines, lâĂ©nergie, la forĂȘt, lâimmobilier, les banques, la grande distribution (Wal Mart et IKEA). Elle multiplie les exemples qui tĂ©moignent des effets pervers de ces relations et de leur caractĂšre structurel. Elle analyse ainsi la stratĂ©gie de BP avec sa campagne « BP= Beyond Petroleum » pour se prĂ©senter comme un modĂšle dâentreprise verte bĂątissant son avenir sur les Ă©nergies renouvelables. En rĂ©alitĂ©, ce domaine ne reprĂ©sentait quâune part dĂ©risoire de ses investissements, soit 4%, mais la campagne rĂ©ussit Ă masquer les responsabilitĂ©s de BP dans des catastrophes environnementales et des pollutions tandis quâelle renforçait ses gisements off-shore. Cette campagne de Greenwashing lui a moins coĂ»tĂ© quâun investissement sĂ©rieux dans un entretien rĂ©gulier de ses installations.
Ces associations avec des ONGE comme TNC « avec des programmes de conservation, sont liĂ©s Ă des projets de forages qui requiert une approbation publique ». « Les dirigeants des ONGE travaillent avec les sociĂ©tĂ©s pĂ©troliĂšres sur des projets de conservation limitĂ©s, tandis quâils ferment les yeux sur les zones oĂč les compagnies ravagent lâenvironnement ». Ainsi, Shell sâest lancĂ©e dans les schistes bitumineux, mais a Ă©tĂ© rĂ©compensĂ©e par TNC pour ses pratiques respectueuses de lâenvironnement, aprĂšs avoir reçu des contributions substantielles de ShellâŠ
Les hĂ©ritiers de Wal Mart bĂ©nĂ©ficient dâune richesse de 65 milliards $, ils consacrent un milliard Ă leur fondation Walton Family. Ils orientent les dons de leur fondation vers des actions valorisant leur entreprise et communiquent Ă bon compte sur leurs engagements verts car ceux-ci ne remettent pas en cause les fondements du systĂšme qui a permis leur enrichissement : bas coĂ»ts, importations massives, bas salaires, etc). Les effets de cette collusion entre ONGE et grandes sociĂ©tĂ©s multinationales vont bien au-delĂ du greenwashing, cela permet de couvrir lâexpulsion des paysans et indigĂšnes car « les pauvres portent le poids de la conservation ». Au BrĂ©sil, C.I a soutenu la sociĂ©tĂ© Bunge contre une ONG locale qui se bat contre la dĂ©forestation et lâexpansion du soja. C.I sâestime satisfaite lorsque des rĂ©serves ou zones protĂ©gĂ©es sont créées mĂȘme si elles ne sont que lâalibi pour faire accepter la destruction de la majoritĂ© du territoire.
Les ONGE sâassocient Ă©galement Ă des gouvernements totalement corrompus comme ceux du Gabon ou de GuinĂ©e Equatoriale quand ils dĂ©clarent autoritairement la mise en rĂ©serves intĂ©grales dâune partie de leur territoire, mĂȘme si cela se traduit par lâexpulsion des habitants. Un tiers du pays est mis en rĂ©serve en GuinĂ©e Equatoriale avec lâappui de C.I alors que le gouvernement est une des pires dictatures de la planĂšte.
Plus rĂ©cemment, les ONGE se sont lancĂ©es avec enthousiasme dans la valorisation des services Ă©cosystĂ©miques, câest-Ă -dire la vente de crĂ©dits carbone Ă des entreprises en Ă©change de programme de protection et de conservation de forĂȘts ou dâautres Ă©cosystĂšmes (3). Cette pratique sert en fait Ă faire avaliser des programmes dangereux pour lâenvironnement en Ă©change de la protection de quelques espaces ailleurs. Ainsi un projet de mine de Nickel Ă Madagascar passe plus facilement malgrĂ© ses consĂ©quences dĂ©sastreuses pour lâenvironnement, si les dĂ©gĂąts sont compensĂ©s par la reforestation dâautres zones par les ONGE. Si des rĂ©sidents doivent ĂȘtre dĂ©placĂ©s pour cela, on peut toujours leur promettre la recette miracle de lâĂ©cotourisme. Les activitĂ©s alternatives imposĂ©es sont souvent peu crĂ©dibles et insuffisantes quand elles nâentraĂźnent pas une autre pollution. En Ouganda, la crĂ©ation dâune rĂ©serve a fait perdre aux habitants 470 000 $, les recettes du parc leur ont rapportĂ© 230 000 $ ; leurs pertes totales se sont Ă©levĂ©es Ă 700 000 $. Une bonne partie des 20 millions de rĂ©fugiĂ©s de lâenvironnement sont aussi le rĂ©sultat de ces expulsions soutenues directement ou indirectement par les ONG de conservation. (4)
Christine MacDonald est une Ă©cologiste convaincue et elle reconnaĂźt avoir rencontrĂ© dans ces ONGE des scientifiques et des professionnels honnĂȘtes et sincĂšres. Elle met en cause la politique et le comportement des dirigeants et leur collusion avec des entreprises polluantes qui sâachĂštent une assurance de rĂ©putation auprĂšs des ONG conservationistes. Elle soutient le travail et la mobilisation des multiples ONG de terrain qui dĂ©fendent, souvent bĂ©nĂ©volement, les paysages, la biodiversitĂ© et les Ă©cosystĂšmes. Elle nuance ses jugements sur les pratiques des ONGE dont certaines essaient de choisir leurs partenaires parmi des sociĂ©tĂ©s moins polluantes.
Walmartisation des ONGE en Europe ?
Sommes-nous protĂ©gĂ©s en Europe contre les pratiques de ces ONG conservationistes ? Pas vraiment, car ces associations trĂšs puissantes mĂšnent le jeu au niveau international. Elles ont ainsi des liens trĂšs Ă©troits avec lâUICN et jouent un rĂŽle trĂšs important dans les orientations de la politique sur la biodiversitĂ©, les aires marines protĂ©gĂ©es, les rĂ©serves continentales, etc. Les mesures dĂ©finies dans les instances internationales ont directement leurs effets en Europe.
Par ailleurs, plusieurs de ces ONGE, en particulier dans le domaine des ocĂ©ans, sâimplantent en Europe. Elles ont pesĂ© sur la rĂ©forme de la PCP et continueront Ă peser sur son application. EDF crĂ©e des antennes en Grande-Bretagne. Pew, Ă lâorigine une fondation liĂ©e Ă des hĂ©ritiers de fortunes pĂ©troliĂšres, a aussi créé son ONG qui intervient directement en Europe soit en son nom propre, soit par le soutien Ă des ONG créées et financĂ©es par des fondations anglosaxonnes. Oceana est ainsi une des plus puissantes ONG conservationistes pour les ocĂ©ans, créée de toutes piĂšces par ces fondations. Dans ce cas, il ne sâagit plus dâassociations reprĂ©sentant la sociĂ©tĂ© civile, mais dâorganisations relais des idĂ©ologies et des intĂ©rĂȘts des fondations issues des grandes entreprises capitalistes. Greenpeace pour sa part veille Ă lâorigine des ses fonds, mais elle mĂšne certaines campagnes en fonction de contrats passĂ©s avec des fondations, sur des calendriers, des objectifs dĂ©finis en commun. Ces fondations trĂšs libĂ©rales font partie du systĂšme du big business. La campagne est donc menĂ©e en fonction de la rĂ©alitĂ© dâun problĂšme, mais aussi en fonction des financements qui dĂ©pendent des choix de ces fondations. Ces ONGE ne fonctionnent pas sur la base de la mobilisation militante et bĂ©nĂ©vole et la crĂ©ation dâun mouvement sociĂ©tal (5). Elles nâont guĂšre de fonctionnement dĂ©mocratique et fondent leur action sur une communication professionnalisĂ©e largement basĂ©e sur le spectaculaire et la mobilisation des stars (cf la campagne Fishlove avec MĂ©lanie Laurent, nue avec un crabeâŠ). Les campagnes dâOcĂ©an 2012 sur la rĂ©forme de la PCP ont Ă©tĂ© basĂ©es sur ces modalitĂ©s. Il fallait manipuler lâopinion publique pour faire pression sur les Ă©lus soumis Ă une pression mĂ©diatique constante. Tous les journaux reprennent au mĂȘme moment, lors des rĂ©unions stratĂ©giques, les mĂȘmes rapports, les mĂȘmes donnĂ©es, les sondages Ă la limite du ridicule (ĂȘtes-vous contre la surpĂȘche ?), les mĂȘmes arguments prĂ©parĂ©s par des sociĂ©tĂ©s de communication, payĂ©es par les fondations : du grand art de la communication, mais qui nâa rien Ă voir avec une dĂ©mocratie participative.
Christine MacDonald, en analysant le mouvement conservationiste amĂ©ricain, nous donne de prĂ©cieux outils pour comprendre lâĂ©volution et les dĂ©rives de certaines ONGE europĂ©ennes. Il reste Ă dĂ©fendre les vraies ONG environnementalistes fondĂ©es sur la mobilisation des bĂ©nĂ©voles et les informations rigoureuses pour dĂ©masquer les ambiguĂŻtĂ©s des Conservationistes bien en cours dans les mĂ©dias et Ă Bruxelles.
Alain Le Sann - Crisla. Lorient - juin 2013
Sources :
- Christine MacDonald, GREEN, INC, The Lyons Press, Connecticut, 2008, 250p.
- Christine MacDonald, op. cit, Chapitre 10.
- www.business-biodiversity.eu
- Mark Dowie. Conservation Refugees, the Hundred-Year Conflict Between Global Conservation and Native Peoples. The MIT Press, Cambridge, MA, 2009, 340 p.
- Fabrice Nicolino, Qui a tuĂ© lâĂ©cologie ?, Les Liens qui LibĂšrent, 2011, 300 p.